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Histoires Web lundi, janvier 27
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Art visuel par excellence, la bande dessinée ne tolère pas plus le voyeurisme que la photo ou le cinéma. La scénariste Théa Rojzman et la dessinatrice Tamia Baudouin s’en sont souvenues au moment d’adapter la série de reportages publiés en 1995 par Annick Cojean dans Le Monde, Les Mémoires de la Shoah, couronnée par un prix Albert Londres l’année suivante. Proscrivant l’indécence qu’aurait constituée la représentation des camps de la mort, les deux autrices ont privilégié la parole, fidèlement aux articles de la journaliste au Monde. Parole des survivants de la Shoah, parole de leurs enfants, parole des enfants de nazis, parole de psychiatres, d’universitaires et d’enseignants ayant eux-mêmes recueilli et analysé la parole des rescapés et de leurs proches.

Publié à l’occasion du 80e anniversaire de la découverte des camps de concentration et d’extermination de la seconde guerre mondiale, l’album déploie une panoplie de métaphores graphiques pour cerner l’indicible, à l’image de cette forêt d’arbres nus au milieu desquels surgissent les témoins. Du besoin vital de parler, qui habite certains rescapés, au silence dans lequel d’autres se sont claquemurés, du fardeau de la culpabilité qui pèse sur leurs descendants à l’auto-interdiction qui les empêche de se sentir apaisés ou désinvoltes, ce sont tous les mécanismes du traumatisme et de sa transmission qui sont explorés entre les pages de cet ouvrage à la palette ocre et évanescente, économe en images-chocs, sauf à des fins allégoriques.

Glaçant est le témoignage de la fille de Hermann Göring, qui dit encore admirer son père. Terrifiant celui du fils unique de Rudolf Hess, niant au milieu d’un repas l’existence de la « solution finale », démonstration mathématique à l’appui. Les rencontres, entreprises par un universitaire israélien dans les années 1980, entre enfants de bourreaux et enfants de victimes se révèlent bouleversantes. L’idée était de « mettre un terme à la haine » et d’« ouvrir ensemble la boîte noire », celle du mal absolu qu’ils ont frôlé en naissant. Mal dont on comprend, en refermant l’ouvrage, qu’il rôde sans doute encore dans les forêts d’aujourd’hui.

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