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Les Libyens, épuisés par une décennie de chaos, subissent une grave détérioration de leur pouvoir d’achat après une dévaluation du dinar, découlant, selon les experts, des dépenses excessives des deux exécutifs se partageant le pays.

Le 6 avril, la Banque centrale (BCL) a dévalué le dinar – pour la deuxième fois en cinq ans – de 13,3 %, faisant bondir le taux officiel de change à 5,56 dinars pour un dollar (contre 4,48 trois jours plus tôt) et celui du marché parallèle à 7,8 dinars (contre 6,9).

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Les commerçants et grossistes, qui s’y procurent les devises indispensables pour payer les marchandises qu’ils importent, ont été immédiatement affectés. La Libye, riche en hydrocarbures, est dépourvue d’infrastructures industrielles et agroalimentaires, et doit importer la quasi-totalité des biens de consommation courante et d’équipement.

« Avec la monnaie qui chute, ça va être difficile de satisfaire nos besoins en nourriture, produits d’hygiène, médicaments, transports », s’inquiète auprès de l’Agence France-Presse (AFP) Karim Achraf, un ingénieur de 27 ans, père de trois enfants. D’autant que l’accès aux soins et à l’éducation est déjà très dégradé dans le pays, où manquent aussi les opportunités d’emplois. La dévaluation frappe également les Libyens ayant besoin de devises pour se rendre notamment dans les pays voisins, comme la Tunisie, pour du tourisme ou des soins médicaux.

« Privilégier l’intérêt national »

Depuis la chute en 2011 du dictateur Mouammar Kadhafi, le pays peine à émerger d’une décennie d’anarchie et de divisions entre deux camps rivaux : un gouvernement reconnu par l’ONU basé à Tripoli et dirigé par Abdel Hamid Dbeibah, l’autre ancré dans l’Est contrôlé par le maréchal Khalifa Haftar et ses fils.

« Préoccupée » par la gravité de la situation, la Mission d’appui des Nations unies en Libye (Manul), chargée d’une médiation politique, a appelé les autorités à prendre des « mesures urgentes » pour « stabiliser l’économie ».

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« Une action rapide est essentielle pour atténuer les conséquences négatives sur la population, notamment la hausse du coût de la vie, la baisse du pouvoir d’achat et l’érosion de la confiance dans les institutions », selon la Manul. Dénonçant « un échange d’accusations » entre les deux camps rivaux, elle les a exhortés à « privilégier l’intérêt national », à s’entendre sur un « budget national unifié » et à « garantir une gestion financière transparente ».

Pour Mahmoud El-Tijani, expert économique libyen, la BCL, « victime de l’échec et des divisions du pouvoir exécutif », a été « contrainte de prendre la décision de protéger ce qui restait de la force du dinar ». Face aux déséquilibres budgétaires, il s’agit, selon lui, de mesures de la « dernière chance pour éviter la faillite et le recours à la dette extérieure », dans un contexte d’érosion des réserves en devises de la BCL et de chute des cours du pétrole. Les recettes pétrolières forment l’essentiel des revenus alimentant les caisses de l’Etat.

La BCL, « un bouc émissaire »

« En révélant le 6 avril l’ampleur alarmante des dépenses publiques de 2024 imputables à Tripoli [ouest] et à Benghazi [est], puis en dévaluant le dinar, la BCL ne fait qu’affronter les conséquences inévitables des choix politiques des factions dirigeantes libyennes », explique à l’AFP Jalel Harchaoui, de l’institut britannique RUSI. Ces « énormes dépenses sont éminemment politiques, arbitraires et intenables : elles ne sont pas décidées par la BCL, une institution technocratique qui ne possède pas l’influence militaire et sociopolitique des dirigeants » libyens, souligne-t-il.

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A l’annonce de la dévaluation, la BCL a essuyé des critiques virulentes venant des deux camps, mais aussi de la population. A Tripoli, plusieurs dizaines de Libyens sont allés cette semaine crier leur mécontentement devant son siège.

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Pour Anwar Al-Turki, un banquier de Tripoli, la BCL est « malmenée » par les dirigeants politiques, responsables des dépenses publiques « les plus élevées de l’histoire [moderne] de la Libye », engagées au mépris de la « bonne gouvernance, de la conformité [financière] et de la [lutte contre la] corruption ».

S’en prendre à la BCL « relève du pur populisme », renchérit M. Harchaoui, dénonçant des « dépenses déraisonnables » qui, via la dévaluation, « aggravent l’inflation pour l’ensemble des ménages ». « Avec la baisse actuelle des prix du pétrole, la BCL risque de redevenir un bouc émissaire » alors qu’il faudrait « prendre à bras-le-corps » les motifs profonds des déséquilibres économiques, estime M. Harchaoui.

Le Monde avec AFP

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