Depuis les propositions d’achat du Groenland formulées par Trump, un ambivalent récit du minerai se déploie. Le sous-sol groenlandais est tantôt perçu comme outil indispensable à l’indépendance, tantôt comme objet de convoitises des grandes puissances. Si le processus minier est imbriqué dans la construction de l’Etat groenlandais, l’analyse des enjeux extractifs ne doit cacher ni l’agentivité et la pluralité des acteurs locaux, ni la longue histoire de leurs luttes contre les impérialismes. Cette image d’une île vue avant tout comme réserve de minerai, alors même qu’une seule mine est actuellement en activité, réactive un vieux récit colonial : celui du Groenland comme terre sauvage et sa population comme victime impuissante des influences étrangères. Elle s’accompagne souvent d’une présentation paternaliste de la « protection » danoise, ou encore d’une rhétorique onirique autour de l’indépendance.
Or, les Groenlandais ne sont nullement passifs face aux impérialismes. Un programme institutionnel de construction d’un Etat est en cours. La première autonomie de 1979, puis l’élargissement de 2009, ont permis le transfert d’un grand nombre de compétences. Cela a déclenché l’édification d’un appareil législatif et d’une administration autonome. L’acte d’autonomie de 2009 donne de jure l’opportunité au Groenland de devenir indépendant. En 2016, le Parlement lance une Assemblée constituante pour la République parlementaire du Groenland, avant qu’un « brouillon » de Constitution ne soit publié au printemps 2023. Plus récemment encore, la discussion sur la nationalité et son lot d’essentialisations identitaires, récurrente au Groenland depuis quelques décennies, prend un nouveau tournant courant 2024. Un échange avec le ministère danois de la justice autour des passeports rouvre le débat sur la fonction documentaire des autorités groenlandaises, cette fonction étant toujours une compétence danoise.
Croisade morale ambivalente
Depuis des années, militants, chercheurs et organisations dénoncent les discriminations raciales, imbriquées dans d’autres systèmes d’oppression, ainsi que l’invisibilisation subie par les Inuits au sein du Rigsfællesskabet (l’union formée du Danemark et ses deux territoires autonomes, Groenland et Féroé). Les annonces de Trump ont reconfiguré le cadrage colonial de la population inuite. Le gouvernement de la première ministre danoise, Mette Frederiksen, semble s’engager dans une croisade morale ambivalente. Peu de temps après les annonces du président américain, le ministère des affaires sociales décide de mettre fin à des tests psychométriques standardisés évaluant la capacité à être parent. Ils sont décriés depuis des années par la communauté inuite.
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