Les élections législatives, municipales et locales auxquelles quelque 8 millions de Tchadiens sont convoqués dimanche 29 décembre viennent clore un chapitre ouvert en avril 2021 avec le décès d’Idriss Déby Itno, tué au combat alors qu’un groupe rebelle approchait, une nouvelle fois, de N’Djamena et du palais présidentiel, qu’il occupait depuis plus de trente ans. Dernier épisode électoral après le référendum constitutionnel de décembre 2023 puis l’élection présidentielle de mai 2024, ces scrutins groupés doivent parachever le processus qui a permis à son fils, Mahamat Idriss Déby, d’assurer une succession familiale du pouvoir, tout en s’émancipant progressivement des tuteurs légués par son père.
Avant même son élection au premier tour avec 61 % des suffrages, l’héritier, désormais âgé de 40 ans, avait pris ses distances avec les officiers de son père qui avaient soutenu sa prise de pouvoir en dehors de toute légalité institutionnelle à la mort d’Idriss Déby Itno. Après avoir formé sa propre garde prétorienne et noué de nouvelles alliances – notamment avec les Emirats arabes unis –, Mahamat Idriss Déby a rompu, le 28 novembre, le partenariat militaire qui existait avec la France depuis l’indépendance, en 1960, et dont son père était un solide garant, en dépit de ses colères calculées.
Le nouveau chef de l’Etat devrait obtenir sans difficulté la majorité des sièges à l’Assemblée nationale et asseoir un peu plus son pouvoir au Tchad : le Mouvement patriotique du salut (MPS), le parti fondé par son père, s’est rangé en ordre de bataille derrière lui, et le principal parti d’opposition boycotte ces élections. Arrivé deuxième à la dernière présidentielle après avoir servi comme premier ministre durant la transition, Succès Masra, le président des Transformateurs, a appelé ses électeurs à rester chez eux. « Le résultat est déjà dans les ordinateurs, dit-il. Le scrutin est truqué et il ne sert à rien de venir y faire de la figuration. »
La conséquence de cet appel se mesure sur le terrain, où le MPS domine sans partage. « Nous sommes le seul parti à avoir des candidats dans tout le pays », se targue le ministre des infrastructures et du désenclavement, Aziz Mahamat Saleh, également rapporteur national de la campagne du MPS. « C’est aussi parce qu’ils utilisent les moyens de l’Etat pour faire campagne », tempère Clément Sianka, le porte-parole du Rassemblement national des démocrates tchadiens (RNDT-Le Réveil), un parti de l’opposition qui participe aux élections.
« Les électeurs ne sont pas dupes »
Par la cooptation des élites locales, par des unions matrimoniales intéressées, par la corruption ou la brutalité, Idriss Déby Itno avait su créer autour de lui un réseau d’obligés. Des méthodes dont son fils a su hériter. De nombreux habitants de N’Djamena ont ainsi reçu gratuitement, ces derniers jours, un sac de riz flanqué d’une étiquette de campagne du parti présidentiel. Un « cadeau » d’une valeur de plus de 20 000 francs CFA (plus de 30 euros), soit un tiers du salaire minimal mensuel au Tchad.
« Nous savons que les électeurs ne sont pas dupes. Ces sacs de riz ont été payés avec l’argent de l’Etat, donc ce n’est pas un cadeau, c’est une rétribution. Mais ce n’est pas pour cela qu’ils voteront MPS. Le véritable problème est que nous n’avons pas les mêmes moyens qu’eux pour nous rendre sur le terrain, notamment dans les zones les plus reculées », déplore Clément Sianka. L’opposant ne pourra pas non plus compter sur le relais des médias privés, en conflit ouvert avec les autorités. Après une grève les 23 et 24 décembre, ceux-ci assurent qu’ils ne couvriront pas les élections s’ils ne reçoivent pas les subventions prévues par la loi.
Le pouvoir semble, à ce jour, sûr de son fait, prêt à dominer sans partage. Elevé au grade de maréchal en pleine campagne électorale, Mahamat Idriss Déby aura, une fois les élections achevées, les mains libres pour exercer un pouvoir quasi absolu. « Le Parlement ne sera rien de plus qu’une chambre d’enregistrement, assure Succès Masra. Le vrai pouvoir sera entre les mains d’une personne, soutenue par les militaires. »
Une armée sur laquelle Mahamat Idriss Déby a su renforcer son emprise. Ces dernières années, de nombreux militaires de sa génération ont été faits généraux. « Tous sont des connaissances de longue date du président, explique Remadji Hoinathy, chercheur à l’Institut d’études de sécurité. Il a nommé des fidèles, des gens qui lui seront redevables pour leur carrière militaire. » Un gage de protection pour le jeune maréchal, qui, dans un pays gouverné par les armes, doit toujours veiller sur sa sécurité.