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Histoires Web lundi, octobre 14
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« J’aime l’engagement obsessionnel que réclame le développement du néant » : cette citation, mystérieuse et cérébrale, noyée parmi les 320 pages de Jil Sander by Jil Sander, est peut-être la plus importante. Se plonger dans le beau livre, publié en anglais et chapeauté par la créatrice allemande en personne, aussi discrète médiatiquement que vénérée par certains, aide à saisir toutes les dimensions de sa mode épurée et précise.

Avec elle, aucun effet de manches. Ni logo ni slogan apparent. Très peu d’éléments décoratifs. Et ce afin que toute l’attention visuelle soit concentrée sur des couleurs rituelles (blanc, noir, marine, rouge cramoisi, jaune beurre), des coupes franches ou assouplies (robes à ajours graphiques, costumes désentoilés) et des matières choisies avec soin (synthétiques allemands, soies italiennes, cotons indiens, cachemires chinois).

Avec sa compatriote, la journaliste Ingeborg Harms, qui signe des textes informés et faciles d’accès, Jil Sander s’est plongée dans ses archives, depuis ses débuts comme créatrice, en 1973, après quelques années dans le journalisme de mode. Cette sélection d’images diverses – clichés de défilés, portraits d’elle à tout âge, photos de coulisses… – a ensuite été confiée à la graphiste néerlandaise Irma Boom, qui les a assemblées par thématiques (prêt-à-porter, cosmétiques, architecture de boutiques…) mais aussi selon un « kaléidoscope » subjectif, des « constellations visuelles ».

Raffinement subtil

Quelquefois traitées en négatif, de nombreuses photos ont été recadrées pour zoomer sur un élément. Afin de montrer au lecteur à quel point la mode de Jil Sander possède le sens du détail. Un col Mao, des plissés façon origamis, l’élastique froncé d’une jupe taille haute, les surpiqûres géométriques d’une robe en cuir noir, les poches plaquées d’une veste en suède au placement millimétré, les boutons d’une chemise en lin laissés détachés sous le nombril… Autant de signes d’un raffinement subtil – ce fameux « néant » très pensé – mais auxquels sera sensible celle ou celui qui porte ou regarde le vêtement. En cela, note à dessein Ingeborg Harms, il existe entre Jil Sander et ses adeptes « un pacte silencieux », celui qui ne peut se nouer que lors de l’essayage.

Dès la préface, son épure quasi fétichiste est théorisée par le contexte historique. « Avec le recul, je comprends que j’ai été influencée par mon enfance à Hambourg. J’ai été témoin d’une reconstruction démocratique », raconte Jil Sander, née en Allemagne en 1943, dans un parallèle entre son approche simple et fonctionnelle et la renaissance, après la guerre, de son pays. C’est aussi par des correspondances artistiques que le livre propose de cerner son travail : celles avec les lignes droites de l’architecte autrichien Adolf Loos (1870-1933), avec l’économie de moyens du sculpteur allemand Ulrich Rückriem (né en 1938) ou avec l’obsession de la spirale du plasticien américain Richard Serra (1938-2024).

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