A force, la détestation de la Commission européenne pour les monopoles d’Etat n’est plus à prouver. Le goût de la France pour la chose publique et centralisée, non plus. L’ouverture des marchés à la concurrence ne pouvait s’opérer que dans la douleur. Et ce fut le cas. Que les acteurs historiques soient sommés de se transformer trop vite comme France Télécom, devenu Orange. Ou qu’ils soient condamnés à disparaître, comme Fret SNCF.
Après des années de bras de fer entre Paris et Bruxelles, l’opérateur de transport ferroviaire de marchandises a confirmé, lundi 4 novembre, qu’il allait s’autodétruire le 1er janvier 2025, pour laisser la place à deux sociétés, Technis dans la maintenance et Hexafret dans le fret. D’ores et déjà, en 2024, Fret SNCF a transféré à la concurrence 30 % de son trafic, et pas la partie la moins rentable, ce qui l’oblige à réduire de 10 % ses effectifs (5 000 collaborateurs).
C’est la sanction exigée par Bruxelles pour avoir reçu indûment 5,3 milliards d’euros d’aide d’Etat entre 2007 et 2019. Un crève-cœur pour l’entreprise − et ses salariés −, qui avait réussi à redresser les comptes à partir de 2021, au prix d’une lourde restructuration, avant une très mauvaise année 2023 marquée par des mouvements sociaux. La question désormais est de savoir quelles conséquences cette cure minceur imposée au principal acteur du marché français aura sur le développement du fret ferroviaire.
Erosion de la part du ferroviaire
Car tout le monde s’accorde à reconnaître que la priorité, aujourd’hui, est de favoriser le rail, bien moins émetteur en CO2 que la route. Or, en France, la part du ferroviaire dans le transport intérieur de marchandises s’érode. Elle est passée de 12 %, en 2015, à 10,4 %, en 2022. Pourquoi ? C’est là où les avis divergent. Cela aurait été pire si le marché ne s’était pas ouvert à la concurrence à partir de 2005, affirment Bruxelles et ses soutiens, ravis de rappeler que Fret SNCF a eu un temps la fâcheuse habitude d’égarer ses wagons. Non, c’est le manque d’investissements et la libéralisation mal maîtrisée du transport par camion en Europe qui a fragilisé le fret ferroviaire, rétorquent les cheminots.
Pour la suite, deux constats se révèlent plutôt rassurants. Le premier, c’est que, à l’exception du fameux train des primeurs entre Perpignan et Rungis, les flux de trains de marchandises cédés par Fret SNCF ont été repris par des opérateurs ferroviaires : ce transfert n’a donc pas entraîné la circulation de milliers de camions supplémentaires sur les routes. Le second, c’est que la Commission européenne a fait évoluer sa doctrine en matière d’aides d’Etat, autorisant notamment l’Allemagne et la France à financer les investissements nécessaires pour mieux combiner transport routier et ferroviaire. Comme quoi la concurrence ne peut pas tout.