MOYEN ÂGE. « Les Chevaliers de la Table ronde », édité par Emanuele Arioli
« Voici Argoier ! » Sans ambages, ainsi nous est présenté Argoier le Félon, avec les 173 autres personnages qui peuplaient l’univers littéraire de la Table ronde. Tous sont rassemblés dans Les Chevaliers de la Table ronde, un manuscrit anonyme du XVe siècle qu’édite en français moderne le médiéviste Emanuele Arioli. A peine remarquée par les chercheurs, cette véritable encyclopédie arthurienne dormait jusqu’ici dans les réserves de la bibliothèque de l’Arsenal, à Paris.
Le livre frappe tout d’abord par sa beauté élégante. Grâce à la reproduction des enluminures ornant le manuscrit original, le lecteur s’initie à l’héraldique : la phrase « ses armes étaient d’or à la cotice de trois pièces de sable » s’éclaire immédiatement, le fond jaune du blason d’Argoier étant barré de trois bandes diagonales noires.
Brève, chaque notice individuelle renseigne d’abord sur la provenance du chevalier – « Argoier venait d’au-delà de la rivière qui sépare l’Angleterre de l’Ecosse » – puis sur son aspect extérieur – « grand homme, il avait les cheveux roux et abondants, le visage rond, et le regard un peu félon, mais il était bien fait dans l’ensemble ». La physionomie déterminait-elle donc une réputation, préjugeant d’un roux qu’il était félon, traître ? Le lecteur est immédiatement détrompé par la description des hauts faits et des qualités du chevalier : « Fort et agile, [Argoier] était expert en guerre et plus bienveillant que son apparence ne le montrait. » Les médiévaux ne se fiaient point aux seuls dehors.
Ainsi, par dizaines, des noms de protagonistes pour la plupart inconnus prennent tour à tour consistance humaine. Peu à peu, on mesure toute la distance qui nous sépare des valeurs de ce Moyen Age aristocratique. La rousseur d’un Argoier, a priori mauvaise, pouvait être compensée par sa valeur au combat. Par-dessus tout primait la capacité à exercer la violence guerrière. De la sorte, en quelques phrases simples et franches dont la traduction préserve la saveur médiévale, se révèle l’univers mental porté par les aventures arthuriennes.
Sans excès d’érudition
Emanuele Arioli est un jeune médiéviste, écrivain prolifique autant qu’inspiré. Porté par le récent succès de Ségurant. Le Chevalier au dragon (Les Belles Lettres, 2023), où il exhumait un roman arthurien totalement oublié, il entreprend de mettre en lumière de nouvelles merveilles littéraires méconnues du Moyen Age. Cet automne, il sauve également de l’oubli le roman Alexandre. L’Orphelin de la Table ronde (Les Belles Lettres, 178 pages, 13,50 euros, numérique 10 euros).
Il vous reste 73% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.