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Histoires Web samedi, avril 27
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« Les Ames tièdes. Le Vatican face à la Shoah », de Nina Valbousquet, La Découverte, 480 p., 26 €, numérique 20 €.

En mars 2020, le Vatican ouvrait enfin aux chercheurs les archives dites « secrètes » du pontificat de Pie XII (1939-1958), un événement qui faisait les gros titres de la presse internationale, friande de révélations sur le rôle du chef de l’Eglise catholique durant la Shoah. Il est vrai que cette question n’a cessé d’alimenter un débat brûlant, en particulier à la suite de la représentation de la pièce Le Vicaire, en 1963 : le dramaturge allemand Rolf Hochhuth y dénonçait la passivité du pape face au ­nazisme et ses silences coupables, faisant ensuite réagir des apologistes qui insistaient sur la nécessaire discrétion d’un pontife ayant pu, dans l’ombre, sauver des vies.

Mais c’est à une réflexion d’une tout autre ampleur qu’invite Les Ames tièdes, le maître livre de Nina Valbousquet, qui a patiemment exploité ces fonds. Le titre provient d’un éditorial critique qu’Albert Camus consacra à la papauté dans le journal Combat (26 décembre 1944) : « Notre monde n’a pas besoin d’âmes tièdes. Il a besoin de cœurs brûlants. » Si le ton est vif, c’est le pluriel qui doit attirer l’attention : l’immense mérite de l’historienne consiste à sortir de la focalisation sur la personne d’Eugenio Pacelli, pape Pie XII (1876-1958), pour restituer, documents à l’appui, le fonctionnement collectif de l’institution vaticane durant la guerre.

Elle lui redonne son épaisseur, à travers ses rouages administratifs et ses multiples acteurs, le vaste réseau des nonces, des cardinaux et des secrétaires dont elle lit de près les rapports et correspon­dances. Cela permet d’identifier deux personnages-clés du Vatican : son diplomate en chef, Mgr Domenico Tardini, ainsi qu’un jeune bureaucrate devenu responsable de fait des questions relatives aux juifs, Mgr Angelo Dell’Acqua. Il n’est guère d’information ou de supplique qui ne passe par leur filtre.

Or le Saint-Siège, démontre la chercheuse, est profondément imprégné par des catégories de pensée qui se calquent facilement sur les pratiques persécutrices de Mussolini, d’Hitler ou de Vichy. Elle observe en particulier la façon dont les prélats décrivent les juifs convertis, utilisant une « étrange catégorie, mi-raciale, mi-confessionnelle », celle des « catholiques non aryens ». Ces derniers ne cesseront de susciter réticences ou méfiances, en partie du fait de l’antijudaïsme traditionnel de l’Eglise, dont le livre donne d’innombrables exemples. Sans toutefois en faire la cause unique des silences persistants du pape : il souligne également la prudence structurelle d’un Vatican attaché à préserver sa neutralité sur le plan géopolitique et à protéger les Eglises nationales des pays en guerre, quitte à ménager les bourreaux.

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