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Histoires Web dimanche, juillet 7
Bulletin

« A la rentrée, je retourne m’installer en Alsace et j’ai une boule au ventre de voir surgir une violence moins feutrée que celle que j’ai connue. J’ai grandi à Mulhouse [Haut-Rhin], dans l’une des régions les plus à droite du pays, avec une mère alsacienne et un père martiniquais. C’est une ville très cosmopolite mais, dans les villages alentour, il y a une Alsace très blanche, facho, paysanne. Quand j’étais ado, par exemple, je faisais du kayak avec mon père et on était les seuls racisés du club. Il arrivait qu’on croise des jeunes du coin, crâne rasé, rangers aux pieds, qui disaient ouvertement qu’ils avaient envie de “taper du bougnoule”.

Et on retrouve les mêmes derrière l’image propre que Marine Le Pen et le Rassemblement national [RN] veulent donner. On sait qu’en Alsace ça existe, les ratonnades, comme les profanations de cimetières juifs et musulmans. J’ai peur que, si je décide d’aller faire une balade avec mes frères et sœurs dans le Sundgau, une région reculée très jolie mais très raciste et conservatrice, on s’en prenne à nous.

Quand on parle de racisme, ce n’est pas juste un débat de salon, ça a des effets concrets sur nos vies de personnes racisées. Etant métisse, j’ai une famille antillaise de classe populaire du côté de mon père, et blanche, classe moyenne, électeurs du PS [Parti socialiste] du côté de ma mère. Pour ces derniers, c’est : “On est gentils, on aime tout le monde, on est cosmopolites, ça va. Il n’y a pas de violence cachée qui ne demande qu’à exploser.” A leur image, cette catégorie de la population hésite à voter Nouveau Front populaire [NFP] parce qu’ils trouvent que [Jean-Luc] Mélenchon fait trop de bruit, mais ils ne se rendent pas compte du risque dans lequel ils mettent leur entourage très proche.

Je suis une prof, ouvertement de gauche, femme et féministe, racisée, et j’ai peur des représailles. Je suis engagée, même si je ne suis pas encartée dans un parti, j’ai participé à des manifestations, je suis une cible identifiable pour ces gens-là. Et, si moi j’ai peur pour ma peau alors que je suis claire de peau, que je suis allée en école privée, que j’ai bac + 5, que j’ai voyagé et que je suis intégrée, alors qu’est-ce que c’est pour ceux qui vivent en quartier populaire, qui sont très précaires, qui n’ont pas de papiers ou ne sont pas en France depuis longtemps ? Ce sont eux, les plus vulnérables.

« Il y a une espèce de vivre ensemble, mais c’est fragile »

On s’expose à des tensions, dans la population française, qui se rapprochent de la guerre civile. Les émeutes, l’été dernier, après la mort de Nahel [17 ans, tué lors d’un contrôle de police à Nanterre le 27 juin 2023], ont donné le ton. Je le vois en Guyane, qui est l’un des départements les plus violents de France. Les gens ici votent RN parce qu’ils sont oubliés. Il y a des braquages très violents, des quartiers entiers qui vivent du vol d’électricité. Ceux qui paient leurs factures se radicalisent. Mais le problème, ce n’est pas l’étranger, c’est le manque de développement. Je suis choquée par la ségrégation entre les gens diplômés, de métropole, qui travaillent, et ceux qui n’ont pas accès au marché de l’emploi et qui se débrouillent. La catégorie du milieu est maigre. Les Guyanais sont très résilients, il y a une espèce de vivre ensemble, mais c’est fragile. Ce qui se passe ici, c’est vers ça qu’on va en métropole. On va vers la catastrophe.

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