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Jacques et Christiane Barthès sont fiers d’avoir été mariés par Robert Ménard en personne, il y a sept ans. « Il ne fait pas souvent les mariages », glisse avec un sourire ce retraité de 79 ans, anciennement dans l’immobilier, en parlant du maire de Béziers (Hérault) depuis 2014. Alors forcément, Jacques a « voté Ménard » au premier tour des élections législatives, dimanche 30 juin. Pas Robert, mais Emmanuelle Ménard, sa femme, députée sortante de la 6ᵉ circonscription de l’Hérault (divers droite, selon la préfecture). « Et toi Bardella, t’as cédé », taquine-t-il son épouse Christiane, 74 ans, ex-professeure de géographie touristique et d’histoire de l’art.

Plus précisément, Christiane Barthès a voté pour Julien Gabarron, le candidat du Rassemblement national (RN) dans la circonscription. « C’était purement stratégique, reconnaît-elle. Pour éviter la gauche, vaut mieux conforter l’extrême droite et leur donner la majorité. » D’ailleurs, Christiane qualifie facilement Emmanuelle Ménard de « femme brillante » et elle votera pour elle au second tour, dimanche 7 juillet, « pour la soutenir », parce que « l’autre [Julien Gabarron] est sûr d’être élu de toute façon ». La retraitée ne comprend pas pourquoi la députée sortante ne s’est pas alliée avec le RN comme aux élections législatives de 2022. « Ils ont fait une connerie, déplore-t-elle, en parlant du couple Ménard. Là, elle partait d’emblée au fiasco. »

C’est un petit tremblement de terre qui a frappé Béziers, ce soir du 30 juin. Le candidat RN Julien Gabarron a terminé largement en tête avec 41,1 % des voix, devançant Emmanuelle Ménard (27,3 %) et la candidate Nouveau Front populaire (La France insoumise) Magali Crozier (21 %). Pourtant, la députée sortante, à l’Assemblée nationale depuis 2017, avait été élue avec près de 70 % des voix au second tour en 2022 avec le soutien du parti d’extrême droite qui n’avait présenté personne face à elle. Mais cette fois, la vague nationale RN était trop forte. Emmanuelle Ménard a été distancée dans les dix-sept communes de la circonscription, y compris dans le fief historique du couple à Béziers, où elle a été devancée d’environ 1 800 voix.

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Au marché paysan de la place Jean-Jaurès, à deux pas de la permanence d’Emmanuelle Ménard, Elisabeth (qui a requis l’anonymat) tracte pour la candidate. A 66 ans, cette conseillère financière dans une banque de la ville, « toujours pas à la retraite », sait que le second tour sera délicat, même dans la cité biterroise. « C’est une bosseuse mais elle ne reçoit pas d’ordre d’un parti. Ça peut jouer contre elle », analyse-t-elle.

Comme pour illustrer son propos, un homme rejette un papier tendu : « Non, pas ces traîtres ! » « Le couple Ménard a toujours fait croire qu’ils étaient proches des idées du RN. C’est comme ça qu’ils se sont fait élire. Et maintenant ils leur crachent à la gueule », développe cet ancien maraîcher, à l’écart du marché.

« Campagne active »

Emmanuelle Ménard est bien consciente de cette réalité. « J’ai payé le prix de ma liberté, reconnaît-elle. Ça a des inconvénients, ça demande beaucoup d’efforts, mais aussi un avantage : je suis libre de mes décisions. » La députée sortante paie tout autant les sorties de son mari, ses critiques envers Marine Le Pen et Jordan Bardella et son rapprochement avec le camp macroniste. Après tout, on se perd facilement au fil des discussions biterroises. On ne sait plus trop si le Ménard mentionné dans une phrase, par les uns ou les autres, correspond à Robert ou Emmanuelle. Et le bilan du maire, qui a transformé le centre-ville ces dernières années, est souvent loué et gage d’adhésion pour le vote aux législatives.

Des militants d’Emmanuelle Ménard, députée sortante de la 6e circonscription de l’Hérault, distribuent des tracts au marché paysan de Béziers (Hérault), le 3 juillet 2024.

Assis à son bureau de l’hôtel de ville, Robert Ménard a d’ailleurs le « on » facile. « Je dis “on” parce qu’on a les mêmes positions », simplifie l’élu. Passé de la gauche socialiste à l’extrême droite (étiquette qu’il rejette, comme son épouse, et qui ne définit pas non plus selon lui la position du RN, malgré l’avis du conseil d’Etat), l’édile, tout comme son épouse, ne regrette en rien « la liberté de refuser cette logique des clans ».

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Selon le couple Ménard, ces législatives dans la circonscription ne sont qu’un « vote pour une étiquette ». « Dans les bureaux de vote, j’ai rencontré un certain nombre de gens dimanche [30 juin] qui me demandaient où était le “bulletin Bardella” », raconte Robert Ménard, critiquant au passage le candidat RN qu’il dit n’avoir « jamais croisé » en dix ans et qui « n’a rien à proposer à part “qu’il faut un député de plus pour nommer Bardella premier ministre” ».

De son côté, Julien Gabarron estime mener « une campagne active » et d’être « clairement identifié à Béziers » en tant qu’ancien gérant d’un bar de la ville pendant dix ans. Lui-même a été « agréablement surpris » par son score dans la cité biterroise. « On a longtemps valorisé la “marque” Ménard, mais les derniers résultats montrent que c’est nous qui les avons aidés à se faire élire, se défend le candidat en tête, comparant un vote Ménard à un vote pro-Macron. Au vu des scores aux européennes [40,5 % pour le RN à Béziers], on devait avoir une candidature pour représenter les électeurs du Rassemblement national. C’est un vote de clarification et d’adhésion à notre programme national. »

Sentiment de déclin

Comme dans le reste de la France, les idées du parti d’extrême droite trouvent de plus en plus d’écho dans la population locale. A Béziers, ce vote raconte une précarité, un sentiment de déclin, de mépris et d’insécurité, dans une ville où le taux de pauvreté s’élève à 36 % selon les derniers chiffres de l’Institut national de la statistique et des études économiques et celui du chômage à 21,8 %. « Il y a une impression de déclassement qui est énorme ici, analyse Laurent Galy, 55 ans, professeur d’histoire-géographie au lycée Jean-Moulin de la ville. Il y a une nostalgie de ce qu’était Béziers avant. » Lui a fait son mémoire de maîtrise sur les heures de gloire du club de rugby, l’Association sportive de Béziers Hérault, multiple champion de France dans les années 1970 et aujourd’hui stagnant en deuxième division sans avoir su prendre le virage du rugby moderne. Tout un symbole.

Face à l’émotionnel, tout discours rationnel devient inaudible, disent les Ménard. « J’essaye d’argumenter et de faire valoir mon bilan qui malheureusement n’a pas pesé au premier tour », déplore Emmanuelle. Aucun électeur du RN croisé ne critique d’ailleurs ce bilan – souvent mêlé à celui de son mari –, qui est plutôt salué dans la ville. « Forcément on est déçu et on se sent impuissant, déplore Robert. La politique est injuste, mais on le savait déjà. »

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Le deuxième tour n’a pas encore rendu son verdict que déjà les rumeurs se propagent pour évoquer les élections municipales de 2026. Interrogé par le quotidien régional Midi Libre, Julien Gabarron n’a pas fermé la porte à une candidature du RN pour écarter définitivement le clan Ménard hors de Béziers.

Emmanuelle Ménard, députée sortante de la 6e circonscription de l'Hérault, devant son local de campagne à Béziers (Hérault), le 3 juillet 2024.
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