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Elle l’accuse d’avoir volé son histoire pour en faire le cœur de l’intrigue de son roman Houris (Gallimard), couronné du prix Goncourt 2024. L’Algérienne Saâda Arbane assigne en justice l’écrivain Kamel Daoud pour non-respect de la vie privée. Pour cette assignation en France, également dévoilée par Mediapart vendredi 14 février, une première audience de procédure est prévue le 7 mai après-midi au tribunal judiciaire de Paris, a appris l’Agence France-Presse (AFP) de source proche du dossier.

Selon cette source, l’assignation a été délivrée jeudi à Gallimard et à l’écrivain, lors d’une dédicace près de Bordeaux. Contacté par l’AFP, l’éditeur n’a pas souhaité réagir. Houris, qui désigne dans la foi musulmane les jeunes filles promises au paradis, est un roman sombre se déroulant en partie à Oran et racontant le destin d’Aube, jeune femme muette depuis qu’un islamiste lui a tranché la gorge le 31 décembre 1999.

Mme Arbane avait affirmé mi-novembre sur la chaîne algérienne OneTV que le personnage d’Aube reprenait son histoire, elle qui est rescapée d’une tentative d’égorgement perpétrée en 2000 par des djihadistes et qui porte depuis une canule pour pouvoir respirer et parler. Kamel Daoud l’avait connue comme patiente de sa femme, Aïcha Dahdouh, psychiatre, entre 2015 et 2023.

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S’appuyant sur de nombreuses attestations, Mme Arbane demande dans son assignation 200 000 euros de dommages et intérêts ainsi qu’une publicité de la condamnation éventuelle, car un « caractère fortuit » de la ressemblance est « totalement impensable ».

La demanderesse ne souhaitait pas que son histoire devienne publique et « n’a jamais donné son accord pour que son récit soit utilisé par M. Daoud », insiste l’assignation, « en dépit des trois demandes » alléguées, entre 2021 et cet automne. Au contraire, Saâda Arbane était « déterminée à ce qu’en aucune façon ce récit, très singulier, intime et unique, ne [soit] utilisé par qui que ce soit », d’autant qu’il pourrait lui valoir des poursuites pénales en Algérie.

« Pillage »

L’assignation cite un entretien de l’écrivain en septembre au Nouvel Obs, qui lui demandait si son livre était inspiré d’une femme réelle. L’auteur de Meursault, contre-enquête, lauréat du prix Goncourt du premier roman 2015, avait répondu : « Oui, j’ai connu une femme avec une canule (…). Elle était la métaphorisation réelle de cette histoire. »

Le document cite aussi deux médecins spécialistes en France et en Algérie qui attestent du caractère inédit et unique de la blessure de Mme Arbane. Le document liste enfin plusieurs dizaines de passages d’Houris quant à la famille de l’héroïne « Aube », à l’attentat qu’elle a subi, à ses cicatrices ou ses tatouages. Ils sont considérés comme proches de la vie de Mme Arbane et donc comme des preuves du « pillage » allégué.

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« Cette procédure, dans l’histoire judiciaire des atteintes à la vie privée, sous couvert de fiction, est absolument exceptionnelle », ont affirmé à l’AFP Me William Bourdon et Lily Ravon, avocats de Mme Arbane. « Elle l’est par l’ampleur des emprunts, par la mauvaise foi réitérée et plus encore le cynisme de Kamel Daoud et par les préjudices subis d’une très grande gravité », selon les conseils.

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« M. Daoud se présente comme un écrivain engagé mais en tous les cas il s’est dégagé, en écrivant ce livre, de toute éthique, du respect du droit des femmes et du respect qu’il devait à une personne qu’il connaissait, Mme Saâda Arbane », estiment-ils aussi.

Plainte en Algérie

L’écrivain franco-algérien était déjà visé par une plainte de Mme Arbane dans son pays d’origine. Il avait affirmé mi-décembre sur France Inter que « tout le monde connaît [cette] histoire en Algérie, et surtout à Oran. C’est une histoire publique ».

« Le fait qu’elle se reconnaisse dans un roman qui ne la cite pas, qui ne raconte pas sa vie, qui ne raconte pas les détails de sa vie, je suis désolé », avait poursuivi l’écrivain. Son éditeur Gallimard avait lui dénoncé les « violentes campagnes diffamatoires orchestrées [contre l’écrivain] par certains médias proches d’un régime dont nul n’ignore la nature ».

Houris ne peut pas être édité en Algérie, car il tombe sous le coup d’une loi interdisant tout ouvrage sur la décennie noire, entre 1992 et 2002, qui a fait au moins 200 000 morts, selon des chiffres officiels. M. Daoud avait aussi approuvé l’idée que la plaignante serait « manipulée par le régime » sur lequel il pose un regard critique.

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Le Monde avec AFP

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