Après avoir cru atteindre l’eldorado au moment du Big Bang du streaming, dans les années 2010, du temps où Netflix et Prime Video (filiale d’Amazon), bientôt rejoints par Apple TV+ et Disney, rivalisaient de créativité et d’audace, le monde des séries américaines a fait l’apprentissage des lois du marché. De confinements en grèves hollywoodiennes, de mouvements de capitaux en séismes politiques, les décideurs des plateformes et des studios ont réappris à rendre compte à leurs actionnaires plutôt qu’à leurs créateurs.
Sur les écrans, cette normalisation se traduit par une floraison de produits fabriqués pour rassurer, à partir d’« IP » (pour intellectual properties, une expression qui peut aussi bien désigner un roman de Jane Austen qu’une marque de jeu vidéo) déjà familières du public.
Ce mouvement touche aussi bien le cinéma que les séries, mais il semble qu’à Hollywood, les secondes y résistent mieux. Alors que le plus gros succès hollywoodien en salle depuis le début de l’année, Minecraft, le film, est issu d’un jeu vidéo, des milliards de minutes (c’est ainsi que l’on mesure la popularité des séries) ont été, ces derniers mois, consacrées par des centaines de millions de spectateurs à trois séries, Adolescence, Severance et Andor, dont les sujets et l’esthétique complexes et exigeants n’ont aujourd’hui plus cours dans les multiplexes outre-Atlantique.
Adolescence, minisérie britannique en quatre épisodes et autant de plans séquences, produite par Netflix et sortie en mars, met en scène le meurtre d’une adolescente par l’un de ses condisciples et les répliques de ce séisme dans la famille du meurtrier ; Severance, dont la deuxième saison a été mise en ligne à partir de janvier sur Apple TV+, réinvente le monde de l’entreprise sur un mode dystopique, imaginant une multinationale qui implante dans le crâne de ses employés un dispositif qui efface de leur conscience toute notion du monde extérieur dès qu’ils arrivent sur leur lieu de travail ; Andor, enfin, dont la deuxième et dernière saison est en cours de diffusion sur Disney+, utilise l’univers de Star Wars pour analyser très finement la dialectique qui unit et oppose un système répressif et les forces qui cherchent à le renverser.
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