Il y a quelques jours, l’entreprise KRE Concept, spécialisée dans l’architecture et le design de bureau, postait sur LinkedIn des photos de sa dernière session de « team building », décrite comme un « moment de convivialité inoubliable entre collègues ».
Un stage commando ? Un escape game ? Du saut à l’élastique ? Rien de tout cela. Ce qui soude aussi efficacement les équipes est un matériau blond et odorant à base de lait cru : le fromage à raclette. Pour faire sonner les trompettes de la viralité, les hashtags convoqués pour l’occasion ne font pas dans la demi-mesure, sur fond de photos où les convives aux mines réjouies voisinent avec les tranches de charcuterie : #EspritDequipe, #AmbianceChaleureuse. Ne manque plus que le Père Noël qui fait un dab et la neige en arrière-plan pour se croire aux Deux-Alpes.
Il faut se rendre à l’évidence : la suspicion qui pèse sur le baby-foot depuis son instrumentalisation par le monde des start-up a conduit à l’émergence de nouvelles stratégies pour rendre conviviale la vie de bureau. Comme le suggéraient les sociologues Edgar Cabanas et Eva Illouz dans l’ouvrage Happycratie. Comment l’industrie du bonheur a pris le contrôle de nos vies (Premier Parallèle, 2018), travailler ensemble ne suffit plus. Il faut désormais être heureux ensemble. C’est cet instantané du bonheur sur commande que représente la raclette corporate. « Comfort food » par excellence, ce plat venu du Valais suisse s’est d’abord imposé dans les montagnes françaises, avant de dégouliner vers les plaines, à la faveur des lois de la gravité et de stratégies marketing visant à en étendre temporellement et géographiquement la consommation.
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