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Histoires Web mercredi, septembre 18
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« Le Polonais » (The Pole), de J. M. Coetzee, traduit de l’anglais (Afrique du Sud) par Sabine Porte, Seuil, 160 p., 18 €, numérique 12,60 €.

Disons-le sans ambages. Cette œuvre tardive n’est pas la meilleure de J. M. Coetzee. Le Polonais, un bref récit, n’a ni la puissance obsédante d’En attendant les barbares ni la virtuosité prodigieuse de Disgrâce (Seuil, 1987 et 2002). Mais comme l’a montré le critique palestino-américain Edward Said (1935-2003) dans son essai éponyme (Actes Sud, 2012), le « style tardif » a beau ne pas nécessairement incarner l’apothéose d’une technique ou d’une forme, il n’en constitue pas moins, chez nombre de grands artistes, musiciens ou écrivains, un fécond réservoir d’enseignements.

C’est le cas chez Coetzee, né en 1940, lauréat du prix Nobel en 2003 et, par deux fois, du prestigieux Booker Prize. Ecrit en anglais en 2022 mais initialement publié en espagnol, Le Polonais a paru dans ­certains pays au sein d’un recueil de nouvelles. En France, le Seuil a préféré le sortir seul. Le « sertir », d’une certaine manière, pour en accentuer encore la complexe étrangeté.

Soient un homme et une femme. Elle, Beatriz, la quarantaine, discrète épouse d’un banquier, travaille pour un cercle qui organise des concerts à Barcelone. Lui, Witold, 72 ans, est un pianiste polonais « dont le nom comporte tant de w et de z qu’aucun membre du comité ne se hasarde à le prononcer ». Spécialiste de Chopin, il le joue sans sentimentalisme et montre de son compatriote « un aspect que les étrangers ne pourront jamais comprendre » – c’est pour cela qu’il a été invité en Catalogne : pour sa « relecture » du compositeur qui, selon l’expression consacrée, « mérite d’être saluée ».

Tout commence après le concert. Mais rien ne se noue. Beatriz doit dîner avec l’artiste – elle remplace une amie qui s’acquitte d’habitude de cette tâche – et c’est pour elle un pensum. Non seulement elle n’est pas impressionnée par Witold, mais elle se demande même si « les heures qu’elle passe à écouter patiemment des touches de piano tinter ou du crin de cheval gratter sur du boyau alors qu’elle pourrait arpenter les rues pour secourir les pauvres ne sont pas une perte de temps ». Il lui a offert un CD ? Elle l’oublie aussitôt et néglige de l’écouter. Bref, avec son doigté habituel et sa distance amusée, Coetzee écarte d’emblée toute menace de coup de foudre stéréotypé sous le signe d’un nocturne romantique et rêveur.

Une telle fixation

Ce n’est pourtant pas faute, pour Witold, d’être subjugué par Beatriz. Il lui écrit, revient pour elle en Espagne donner une master class, lui propose de le suivre au Brésil. Rien à faire. Elle ne ressent rien. Si ce n’est de la peine de voir ce vieil amoureux « ridicule et dangereux pour lui-même » faire une telle fixation sur sa personne. « Peut-être appelle-t-il cela de l’amour ? Pas elle. » Et si Coetzee parsème son texte de références à Dante – qui rime ici avec « indépendante » –, c’est pour mieux s’amuser du parallèle avec cette anti-Béatrice qui n’a décidément « aucune envie d’être éclaboussée par une vague de passion masculine ».

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