Les mathématiciens ont l’art de poser des questions simples dont la résolution va prendre des années. Deux d’entre eux viennent ainsi de résoudre un problème énoncé il y a cinquante ans, mais qui tire son origine d’une conjecture vieille, elle, de plus d’un siècle. En 1917, le mathématicien japonais Soichi Kakeya (1886-1947) étudie les surfaces balayées par le retournement d’une aiguille sur une table, et se demande quelle serait la plus petite. Le premier réflexe est d’opérer une rotation selon le centre de l’aiguille, ce qui recouvre un disque. La seconde idée est de faire un mouvement de 60 degrés sur une pointe, puis 60 degrés en sens inverse sur l’autre pointe et de conclure par un dernier mouvement de 60 degrés : cela dessine un triangle équilatéral, de surface plus petite que le disque. Kakeya lui-même trouve une stratégie deux fois plus efficace que celle du disque, avec une surface en deltoïde, un triangle dont les côtés sont courbés vers l’intérieur.
Deux ans plus tard, le Russe Abram Besicovitch (1891-1970) « tue » le jeu, en trouvant une méthode permettant de réduire la surface autant que l’on veut. Une variante, par un autre mathématicien, aboutit au même résultat avec des surfaces très hérissées de pics, comme des buissons. En 1928, Besicovitch fait encore mieux en démontrant qu’il est possible de construire une surface contenant toutes les directions d’aiguilles possibles et qui a une aire… nulle ! Pour saisir cette étrangeté, il faut préciser que, pour les mathématiciens, un point, l’aiguille de Kakeya (un segment) ou une ligne courbée n’ont pas d’aire. Une spirale très serrée peut donc recouvrir un disque tout en ayant une surface nulle. Nous y reviendrons.
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