« Le Mouvement des non-alignés. La voie oubliée », sur Arte : rendez-vous au sommet, à Belgrade, pour les nouveaux pays nés de la décolonisation

ARTE – MARDI 5 NOVEMBRE À 23 H 40 – DOCUMENTAIRE

Qui s’en souvient ? En septembre 1961, durant six jours, Belgrade devint le centre de ce qu’on appelait alors le « tiers-monde » − que l’on nomme aujourd’hui « Sud global ». La capitale yougoslave accueille une conférence historique avec la présence de 25 chefs d’Etat, dont des représentants de pays nouvellement créés par la décolonisation.

Appelant à la fin du colonialisme, à l’égalité économique et sociale, à la coopération entre les peuples, l’initiative de Josip Broz Tito (Yougoslavie), Gamal Abdel Nasser (Egypte), Jawaharlal Nehru (Inde), Sukarno (Indonésie) ou Kwame Nkrumah (Ghana) tente de poser les bases d’une troisième voie, entre Washington et Moscou. Le mouvement des « non-alignés » est né : l’expression avait émergé en 1955, à la conférence afro-asiatique de Bandung, en Indonésie.

Stevan Labudovic (1926-2017) est le personnage central de ce documentaire instructif. Employé par Filmske Novosti, les actualités yougoslaves de l’époque, il fut le cameraman attitré de Tito lors des nombreux « voyages de la paix » entrepris par le maréchal-président à la fin des années 1950, à bord de son yacht mythique, le Galeb.

Incroyables archives

Labudovic a tout filmé de la conférence de Belgrade, mais aussi des déplacements diplomatiques de Tito à Cuba, en Ethiopie, en Inde, à New York, et raconte avec fierté cette autre histoire de la guerre froide. « Les Américains sont restés des cow-boys et les Russes ont oublié l’homme. Nous, nous étions des communistes particuliers, nous n’acceptions pas le communisme stalinien », résume-t-il.

Les incroyables archives retrouvées par la réalisatrice Mila Turajlic dans les entrailles de Filmske Novosti – 36 bobines de pellicule intactes du sommet de Belgrade – donnent à ce documentaire sa force, ainsi que les images tournées à bord du Galeb et dans quelques-uns des 112 pays parcourus par le cameraman. Sans oublier celles de l’Assemblée générale des Nations unies en 1960, avec une inattendue poignée de main entre Tito et Fidel Castro, chef de la révolution cubaine, qui venait de renverser le gouvernement de Batista en 1959.

Sur les images, le chef de l’Etat yougoslave fait souvent le show. Dans les rues de Bombay avec Nehru, sur le canal de Suez avec Nasser, à Djakarta avec Sukarno, en Afrique, Tito va porter la bonne parole des non-alignés, que les Occidentaux voient d’un mauvais œil, comme le prouvent les commentaires acides de leurs médias couvrant la conférence de Belgrade. « Le discours inaugural du maréchal Tito a été écouté par un Nehru réservé, un Nasser distant, un Haïlé Sélassié lointain, un Hassan II inquiet », entend-on aux actualités françaises, par exemple.

« Le non-alignement n’est pas la neutralité, lance Sukarno à Belgrade, en septembre 1961. Cela consiste à se consacrer activement aux nobles causes que sont l’indépendance, la paix, la justice sociale, la liberté d’être libre. Notre objectif est de combattre les derniers vestiges de colonialisme et d’impérialisme. »

Que reste-t-il de ces beaux discours, de ces voyages de la paix, de ces foules en liesse, de cette conférence de Belgrade ? Ces images, la plupart tournées par Stevan Labudovic. Témoignages précieux d’un mouvement oublié de la mémoire collective.