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Histoires Web vendredi, septembre 20
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Quelques mois après la sortie française du « Livre [culte] de la salsa » de César Miguel Rondón, Fabrice Clerfeuille et Yannis Ruel apportent une nouvelle pierre à la documentation des musiques afro-caribéennes.

« Salsa ! Un voyage musical en 100 disques essentiels » surprend d’abord par sa forme. La préface, une petite histoire de la salsa en 120 pages, constitue le tiers du volume. C’est dire l’ampleur du chantier que peut représenter une tentative de définition de la salsa.

« Des tomates et des pâtes », voilà ce qu’inspirait à Celia Cruz le terme qui signifie sauce en espagnol. « Ce que je fais, c’est de la musique cubaine », expliquait-elle. « Je ne chante ni plus ni moins que ce que je chantais avec la Sonora Matancera », précisait la reine de la salsa.

Les deux spécialistes définissent le genre comme « un courant musical né dans les années soixante à New York, de père cubain et de mère portoricaine [..] » Ils ajoutent : « Si personne ne nie que les rythmes cubains, singulièrement le son, constituent la matrice de la salsa, il est tout aussi incontestable que ce sont majoritairement des musiciens originaires de Porto Rico qui ont enrichi ces rythmes. » Dès lors, on trouvait généralement deux types d’ouvrages : ceux consacrés à la musique cubaine et ceux consacrés à la salsa. Si dans ces derniers, les origines cubaines étaient mentionnées, elles l’étaient souvent brièvement.

L’ouvrage se distingue par le traitement équitable des différentes nations ayant contribué au genre.

L’originalité de l’angle adopté réside dans un strict œcuménisme. Si les disques cubains sont choisis en fonction de leurs contributions au mouvement, ils sont abordés avec un regard cubain. Les auteurs affichent leur volonté de ne pas hiérarchiser les apports en fonction de leurs origines qu’elles soient cubaines, new-yorkaises, portoricaines, vénézuéliennes, colombiennes et même françaises ou africaines.

La présentation se distingue également par sa timeline. On fait souvent démarrer l’histoire de la salsa avec Fania, le label qui a inventé et marketé l’expression. Si « Le Livre de la salsa » ne fut pas tendre avec la maison de disques états-unienne, il n’en a pas moins installé son rôle central. Sans le renier, « Salsa ! » replace la période Fania en tant que simple fait historique. La salsa est née et s’est développée dans une histoire bien plus vaste. Et cette histoire participe de sa définition. Enfin, ce voyage musical achève son œuvre d’unification en intégrant les récentes évolutions cubaines.

Lire aussi : Après 44 ans, « Le Livre de la salsa » paraît en France

Une discographie exhaustive

Le volet historique et sa sélection dessinent nouvelle carte spatiale et temporelle de la salsa.

Cette nouvelle histoire plonge naturellement sa source dans l’espace caribéen à l’époque coloniale. La sélection démarre avec les inventeurs du jazz afro-cubain Machito et Chano Pozo ainsi que les formations traditionnelles cubaines Conjunto Chappottín et le Septeto Nacional d’Ignacio Piñeiro, auxquelles succèdent les grands ensembles cubains des années 50 avec l’Orquesta Riverside et Benny More ainsi que leurs pendants new-yorkais de Tito Rodríguez ou Tito Puente.

La collection explore l’effervescence des années 60 du boogaloo de Pete Rodríguez à Joe Bataan au latin-jazz de Joe Cuba, Ray Barretto ou Mongo Santamaria et bien sûr les inspirateurs venus de Cuba Arsenio Rodríguez et Celia Cruz ainsi que la branche portoricaine avec El Gran Combo et Ismael Rivera.

Les années 70 sont, comme attendues, surtout new-yorkaises avec la vitrine Fania. Cheo Feliciano, Willie Colón, Hector Lavoe, Roberto Roena, chacun a droit à son chapitre, à l’instar du fameux super-groupe Fania All-Stars. Les auteurs n’oublient pas Libre de Manny Oquendo, la Tipica 73 et la Sonora Poncena, alors que les vétérans Charlie et Eddie Palmieri consolident le style et qu’un son plus dura s’est installé avec Richie Ray et Bobby Cruz, Ray Pérez et les productions colombiennes de Discos Fuentes. Déjà la relève s’esquisse avec les nouvelles têtes d’affiche Rubén Blades et Oscar D’León.

Des années 80, les auteurs retiennent surtout la nouvelle révolution cubaine. Alors que l’Amérique Latine adoptait cette musique comme étendard, Cuba traçait sa route. Après avoir évoqué les rénovateurs des années 70 Irakere et Los Van Van, mais aussi Adalberto Álvarez et Elio Revé, plus dans la tradition, la nouvelle salsa cubaine, dite timba, trouve sa place dans l’ouvrage avec NG La banda, Issac Delgado et Manolito Simonet.

L’amateur sera reconnaissant aux auteurs de ne pas avoir oublié un certain nombre d’artistes iconiques aussi divers que La Lupe, Patato y Cortijo, Alfredito Linares, Batacumbele ou Henri Guédon ainsi que des albums cultes tels le Harlem Drive Live de Palmieri ou le Time Machine de Cortijo.

Chaque album apparaît sur une double page présentant pochette, références, large critique avec mise en perspective et deux listes à la manière des « lire également » du web : une mini-discographie et les artistes similaires.

« Siembra » de Willie Colon & Ruben Blades, l’album le plus vendu de l’histoire de la salsa.

Des critiques ?

Ces « 100 disques essentiels » constituent-ils la discothèque idéale ? Comme le souligne l’introduction, reflet des goûts de leurs auteurs, cette sélection est par définition imparfaite. D’aucuns pourront leur reprocher de ne pas complètement jouer le jeu puisqu’ils s’autorisent enregistrements live et compilations. D’autres pourront regretter qu’ils ne se soient pas plus attardés sur l’histoire mille fois ressassée de Fania. On notera l’impasse faite sur la salsa dite romantique des années 80 et les années RMM (label à succès de Ralph Mercado) qui, bien que critiquées et critiquables, trouverait leur place dans une telle rétrospective. Le 21è siècle est également amplement ignoré. On regrettera enfin un manque certain de perspective.

Alors, faut-il se procurer « Salsa ! un voyage musical en 100 disques essentiels » ?

Sans aucun doute. L’ouvrage trouvera sa place sur le chevet de tout amateur de musique caribéenne. La synthèse historique constituera une base solide pour le néophyte. L’amateur et le chevronné plongeront avec délices dans les méandres de la collection à la recherche de telle anecdote ou tel album introuvable. Rarement on aura eu autant d’informations réunies dans un format aussi facile d’accès et ludique.

Conférence : « Salsa ! Un voyage musical en 100 albums » samedi 19 octobre 2024 à 11 heures bibliothèque Robert Desnos, Montreuil.

Livre : « Salsa ! Un voyage musical en 100 albums » de Fabrice Clerfeuille et Yannis Ruel, 352 pages, éditions Le Mot et Le Reste.

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