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2027. Une force armée privée lance une attaque éclair contre les forces de l’OTAN en Géorgie. La troisième guerre mondiale éclate. Lâchés par leurs alliés européens, les Etats-Unis vacillent. Ainsi débute Battlefield 6 (disponible le 10 octobre sur PC, PlayStation 5 et Xbox Series), nouvelle itération de la série d’Electronic Arts, qui propose cette fois au joueur d’incarner tour à tour les membres d’une escouade de marines.

Ce jeu de tir à la première personne assure le spectacle : parachutage à couper le souffle sur Gibraltar, affrontements nerveux à Brooklyn entre métros tagués et toits infestés de snipers, assaut final dans le désert tadjik sous un déluge de roquettes… Des séquences mémorables, portées par un réalisme visuel saisissant. Mais une fois l’adrénaline retombée, une question reste : que raconte vraiment Battlefield 6 ?

Pas grand-chose, assurent les développeurs, qui semblent découvrir que les événements décrits dans leur jeu font écho à un contexte géopolitique bien réel. « Nous ne regardons pas l’actualité, semble se vanter Danny Isaac, un des producteurs du jeu de tir édité par Electronic Arts, lorsqu’il est interrogé à ce sujet par le site spécialisé GamesRadar. Cela fait plusieurs années que le jeu est en développement, tout événement proche de la réalité serait une coïncidence. » « C’est clairement de la fiction » et « un divertissement », répétait quelques semaines plus tôt son collègue Christian Grass, interviewé par le site Polygon.

La guerre touche même les Etats-Unis. Des séquences de guerrilla urbaine se déroulent en plein Brooklyn, à New York.

L’affrontement politique autour des jeux

On peut voir, derrière cette prudence affichée, la volonté de ne pas faire de vagues alors qu’Electronic Arts fait actuellement l’objet d’un rachat faramineux (55 milliards de dollars) mené par un trio d’investisseurs, au sein desquels on compte Jared Kushner, le beau-fils de Donald Trump, ainsi que le fonds public d’investissement de l’Arabie saoudite.

La question du discours politique (ou apolitique) des jeux vidéo à grand spectacle est sensible. Tout le monde a en tête l’exemple récent d’Assassin’s Creed. Shadows : le jeu d’Ubisoft a été pris pour cible par l’extrême droite américaine pour avoir mis en scène un samouraï d’origine africaine. Selon le site américain Games File, l’éditeur français aurait, dans la foulée, annulé un projet d’Assassin’s Creed centré sur un ancien esclave noir dans l’Amérique du XIXe siècle, jugé « trop politique » en interne. Fin septembre, c’était au tour de Ghost of Yotei d’être attaqué avant même son lancement en raison d’un message provocateur publié par une employée du studio après l’assassinat de l’influenceur Charlie Kirk elle a été licenciée peu après.

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Le nouveau Battlefield n’échappe pas à ce genre de controverses. Certains joueurs invités ayant pu tester en avant-première son mode multijoueurs n’ont pas apprécié qu’à leur personnage soit aléatoirement associée, en début de partie, une voix masculine ou féminine une pétition demandant la possibilité de désactiver les voix de femmes circule.

Satisfaire tout le monde

Le message du jeu est pourtant clair : « Je ne suis pas là pour faire de la politique » répètent plusieurs marines entre deux missions. La réplique évoque le mot d’ordre d’une frange de gamers réactionnaires, « no politics in games », souvent brandi contre toute tentative d’inclusion ou de représentation de la diversité.

Alors, pour éviter tout terrain miné, le jeu choisit l’abstraction. Pas de grande puissance à abattre, mais un groupe paramilitaire appelé Pax Armata, financé par des milliardaires de la tech et des Etats rivaux. La menace est finalement très floue, presque sans visage. Ses mercenaires surentraînés rappellent davantage les antagonistes d’une série B qu’une force militaire privée crédible façon Wagner. Au point qu’il est difficile de s’impliquer dans un jeu qui tourne autant autour du pot.

Trois des personnages principaux de « Battlefield 6 ».

Quand arrive le générique, rythmé par la musique du groupe Limp Bizkit, les personnages sans relief sont déjà oubliés. Tous, sauf une : Simone Espina. Cette militaire latino conjugue une proposition ludique plus tactique (avec un fusil à lunette et un drone) à un look unique (bob informe et faux branchages sur le dos). Cette figure marquante, combinée à la présence d’un président américain au nom à consonance hispanique, donne au casting une dimension inclusive et multiculturelle que la communication autour du jeu passe étrangement sous silence.

En contrepoint, le scénario ne craint pas de convoquer des références qui semblent conçues pour séduire les joueurs de l’autre bord, reprenant à son compte la théorie du deepstate (« Etat profond ») chère à l’Amérique MAGA, selon laquelle une administration parallèle fomente la chute de la démocratie américaine. C’est sans doute là la façon, pour Electronic Arts, de ne « pas faire de politique » : en faire en réalité tous azimuts, mais sans trop le clamer, en donnant des gages à tous les camps et en espérant n’en froisser aucun.

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