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Histoires Web dimanche, septembre 8
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Ça a presque commencé comme une boutade, « le genre de phrase que l’on lâche pendant les conférences sans tout à fait y prêter attention », se souvient Odile Eisenstein. Ce jour de mai 2015, la chimiste française, tout juste retraitée du CNRS, fête son élection à l’Académie norvégienne des sciences et des lettres. Pour l’occasion, l’université d’Oslo, qui accueille la « professeure invitée » depuis 2012, a réservé un amphithéâtre pour un échange avec des chercheurs et des étudiants. L’exercice touche à sa fin quand un collègue la ramène au nerf de la guerre : l’argent. La biologie et la biochimie n’en manquent pas, mais la chimie reste à la peine. « Il se demandait comment trouver des problèmes suffisamment complexes et intéressants pour attirer des financements, se souvient-elle. Je lui ai dit que ça ne manquait pas. Et là, je ne sais d’où c’est sorti, j’ai cité la réaction de Grignard : tout le monde croit la connaître, mais, en réalité, on ne comprend pas son mécanisme, et c’est particulièrement complexe. D’ailleurs, si ça intéresse quelqu’un… »

Sur un des bancs, Michele Cascella bouillonne. Recruté l’année précédente par un jury dans lequel siégeait Odile Eisenstein, le trentenaire italien est « choqué ». Certes, il n’est pas un spécialiste de chimie organique, la branche de la discipline qui abrite la fameuse réaction. Mais, comme tout chimiste, il a étudié en première année d’université cette recette centenaire, auréolée par un prix Nobel en 1912, à la base de la fabrication de nombreux alcools, abondamment utilisés par l’industrie. « Effectivement, j’étais convaincu que tout était connu. Je suis allé la voir après la conférence pour qu’elle m’explique. Et je lui ai dit que je pensais qu’avec les outils de chimie théorique que j’utilisais pour étudier les systèmes biologiques, les membranes, les enzymes on devait pouvoir résoudre la question. Je lui ai proposé qu’on collabore. Elle a dit oui. Dans tout bon “cold case”, il y a un événement inattendu qui vient remettre un vieux dossier dans la lumière. Et dans ceux que je préfère, il y a une rencontre entre deux enquêteurs. Là, il y a eu les deux. »

Vieux, le dossier l’est, effectivement. C’est, en effet, le 14 mai 1900 que Victor Grignard (1871-1935) présente devant l’Académie des sciences une note sur « quelques nouvelles combinaisons organométalliques du magnésium et leur application à des synthèses d’alcool et d’hydrocarbures. » Plus exactement, comme l’exige le règlement, la note est lue par un académicien, en l’occurrence Henri Moissan (1852-1907), éminent découvreur du fluor et futur Prix Nobel (1906). Grignard est alors totalement inconnu. Issu d’un milieu modeste, il rêvait d’une carrière de mathématicien à Paris. L’annulation d’une bourse l’a conduit au laboratoire de chimie de Philippe Barbier, à Lyon.

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