le feuilleton littéraire de Tiphaine Samoyault

L’ÉGAL DES DIEUX

La grandeur est-elle encore possible en littérature ? On peut en douter : non parce que tout ce qui s’écrirait serait médiocre ou petit, mais parce que la « grandeur littéraire » est sans doute une idée du passé, étroitement dépendante du poids qu’une culture, une société accordent à la littérature. D’elle, on n’attend plus guère la forme d’art total offrant la représentation d’un monde et la compréhension de son mystère ou de la tragédie de notre condition. Dans cette fonction et sous cette forme, qu’elle a pu avoir par le passé, elle n’a pas survécu aux catastrophes du XX^e siècle.

Comme le dit de façon désabusée un personnage de La Route des Flandres, de Claude Simon (Minuit, 1960), à son père qui vit comme un drame la destruction de la bibliothèque de Leipzig en décembre 1943 : « Si le contenu des milliers de bouquins » de cette bibliothèque a été incapable d’empêcher la violence qui a conduit à sa destruction, il perdait alors toute son utilité. La grandeur littéraire semble bien avoir été emportée dans un torrent de flammes, et la littérature, la meilleure, se produit depuis sur le mode de la survie, dessinant des ombres, avançant dans la nuit à l’écoute des rumeurs, du silence, taillant dans le réel des formes plus restreintes, tentant encore de témoigner pour lui.

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