Dans son rapport d’activité annuel, le contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) dénonce un « délaissement coupable » à tous les niveaux et étrille certaines décisions du garde des sceaux. Des prisons aux établissements de santé mentale, en passant par les centres de rétention administration et les centres éducatifs fermés, « ce délaissement coupable se retrouve partout », cingle la contrôleuse des prisons, Dominique Simonnot, en avant-propos de ce rapport, qui doit sortir en librairie jeudi 22 mai.
« On délaisse ces gens dans des calculs à la petite semaine, des calculs politiques, parce que tout le monde s’en moque », déclare à l’Agence France-Presse (AFP) l’ancienne journaliste du Canard enchaîné. « Sauf que ce sont des calculs à très court terme. Si on regarde plus loin, les dégâts sont énormes », met également en garde Mme Simonnot. Selon le rapport, 2024 a été « marquée pour la quatrième fois consécutive par une croissance inquiétante et nocive de la surpopulation carcérale ». Des chiffres qui marquent « l’échec des mesures » inscrites dans les lois adoptées en 2021 et en 2023, du temps où Eric Dupond-Moretti était Place Vendôme.
Dans ce contexte, « la mise en place d’une régulation carcérale contraignante fondée sur la loi demeure plus urgente que jamais », estime cette autorité administrative indépendante, qui réclame depuis plusieurs années un mécanisme permettant d’examiner les possibilités de sortie d’un prisonnier en fin de peine avant de faire rentrer d’autres détenus.
Prisons modulaires
Une proposition soutenue par de nombreux acteurs du secteur : dans un rapport rendu en mars, une mission, mise en place par le précédent ministre de la justice, Didier Migaud, et composée de magistrats, d’un directeur de prison et d’une avocate, préconisait aussi « un dispositif pérenne de maîtrise des effectifs au sein des établissements pénitentiaires ».
Mais le garde des sceaux, Gérald Darmanin, se dit « totalement défavorable » à une telle mesure. Dans une lettre envoyée la semaine dernière aux magistrats, il préfère mettre en avant la construction de prisons modulaires, l’expulsion de détenus étrangers ou la différenciation des prisonniers en fonction de leur niveau de dangerosité pour remédier à ce problème.
En attendant, la promiscuité induite par la surpopulation carcérale « accroît les risques de conflit » et, de fait, le « nombre des incidents augmente », souligne le rapport. L’accès à des activités – travail, enseignement, sport, activités socioculturelles – est « drastiquement insuffisant dans une très large majorité d’établissements », déplore-t-il.
Or, « l’absence d’activités constitue un facteur évident d’accroissement des tensions (…) tant il relève du bon sens le plus élémentaire que le fait de maintenir trois personnes enfermées vingt-deux heures sur vingt-quatre dans 9 mètres carrés, sans autre horizon que télévisuel, ne peut qu’impacter négativement leur santé mentale ».
Une « vertigineuse régression »
Le CGLPL en profite pour fustiger la décision de M. Darmanin d’arrêter toutes les « activités ludiques » en prison qui ne concernent pas l’éducation, la langue française ou le sport, après « une rumeur de massages prodigués aux détenus » à la maison d’arrêt de Toulouse-Seysses. Une décision qui a été annulée partiellement lundi par le Conseil d’Etat.
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« Tout était faux d’un bout à l’autre dans cette histoire », grince Mme Simonnot auprès de l’AFP, y voyant un épisode de « politique spectacle ». « En fait, des esthéticiennes leur ont donné des conseils pour prendre soin de leur peau, mais, prendre soin de sa peau, il me semble que ça sert dehors. Ça sert déjà à reprendre un peu d’estime de soi, mais ça sert aussi dehors, à se présenter bien, à trouver une formation, du travail, à se réintégrer. »
De même, elle étrille dans le rapport la création, toujours par M. Darmanin, de quartiers de haute sécurité pour y incarcérer les narcotrafiquants les plus dangereux, y voyant une « vertigineuse régression » vers ce qui avait été aboli en 1982 par Robert Badinter.
Du côté des établissements de santé mentale, la situation n’est pas meilleure, avec « des services ravagés par le manque de soignants », ce qui in fine cause des préjudices aux droits des patients. Dans les centres de rétention administrative, « les conditions matérielles de vie sont indignes », relève-t-elle encore. Le rapport s’intéresse aussi aux geôles des tribunaux, notamment de celui de Paris, où la durée d’attente est souvent prolongée « de manière excessive », faute de moyens et d’effectifs de police.