PLANÈTE+ – LUNDI 11 NOVEMBRE À 20 H 55 – DOCUMENTAIRE
« En avant, mon p’tit gars, c’est la vie/Va-t’en gaiement/au régiment… », chante Harry Fragson, en août 1914 sur un air guilleret pour accompagner les pioupious sur le chemin d’une guerre qui s’annonce courte, puisque la France possède l’une des meilleures armées du monde. La rue de Berlin, dans le quartier de l’Europe, à Paris, est rebaptisée rue de Liège. Un commerçant annonce en vitrine : « Réouverture après la victoire. » Les « p’tits gars » seront là pour Noël…
En quelques semaines, l’ennemi a pourtant créé un chaos indescriptible, pillé, volé, tué, dans les maisons éventrées du Nord et de l’Est. Les « casques à pointe » occupent dix départements. « Notre Joffre qui est au feu », le généralissime partisan de l’offensive à outrance, loué comme Dieu le père, perd 300 000 hommes entre août et décembre 1914. En novembre, le front s’est figé sur 700 kilomètres, laissant 2 millions de Français pris au piège à Lille, Cambrai, Lens, Douai…
Destins individuels
1914, et soudain la guerre !, le documentaire de Cédric Gruat raconte, par la voix de Vincent Lindon, les premiers mois de ce conflit mondial si meurtrier, entremêlant habilement la grande histoire et les destins individuels. Paul Doumer, futur président de la République, perd quatre fils au combat. On suit, par lettres interposées, le couple de Marie-Louise et Raymond Escholier, elle réfugiée dans l’Ariège avec les enfants, lui au front.
A Douai, justement, Achille Bourgin, fonctionnaire de la poste, regard clair et moustache fièrement relevée, a été réformé pour suspicion de tuberculose. Mais il décide de se cacher, en dépit des risques encourus. Tous les Français de cette zone occupée doivent se déclarer à la Kommandantur pour être fichés et même photographiés. Tenir un journal peut valoir la grave accusation d’« espionnage ». Dans Le Confiné de 14-18, Frédéric Monteil retrace l’histoire d’Achille, interprété par Renaud Hézèques. Il se fonde sur ses neuf carnets reliés, soit environ 2 000 pages d’un récit quasi quotidien écrit à la plume et augmenté de photographies, de coupures de journaux, de croquis, de cartes.
Leur découverte tient au coup d’œil judicieux d’un bénévole d’Emmaüs sur un sac-poubelle déposé, en 2018, dans l’Essonne. Les précieux carnets sont là, numérotés et intitulés Mémoires d’un postier par l’auteur lui-même. L’article, publié, en février 2019, par Le Parisien, attire l’attention de la productrice Catherine Lopez. Cinq ans plus tard, avec le soutien du ministère des armées et de La Poste, c’est un film.
Témoignage exceptionnel
La mairie de Douai a acquis les manuscrits, et le service des archives s’est attelé avec passion à la lecture et à la numérisation de ceux-ci. « L’un des archivistes a repéré que le père d’Achille était photographe amateur et a mis la main sur la petite revue associative de Jean Bourgin », relève le réalisateur. Ophélie Gérard, directrice des archives municipales, avait déjà participé aux grandes collectes de 14-18 auprès des Français, mais n’avait jamais vu pareils documents. Elle a retrouvé des descendants. « Ma plus grande émotion, dit-elle, a été de découvrir le visage d’Achille quand ils ont apporté les albums de famille. »
Le territoire sous autorité allemande souffre terriblement, guetté par la famine, épuisé par les réquisitions. Achille Bourgin écrit, en 1916 : « La ville se transforme en vaste poulailler. Il n’est guère de maison qui ne possède de poulets, lapins ou canards. » Recensés, bien sûr ! Son père possède dix poules et doit livrer une quantité d’œufs précise à l’occupant. Il lui en faut 500 par jour, dans la ville. Le postier, comme d’autres Douaisiens, jette dans une fosse ses objets en cuivre ou en laiton pour ne pas alimenter l’effort de guerre de l’ennemi. Il moque l’« affichomanie des Boches », qui placardent chaque jour de nouvelles réglementations.
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« Les Français de ces territoires occupés ont été traités de Boches du Nord, c’est une injustice énorme, souligne l’historienne Annette Becker, alors que les Allemands ont tout détruit sur leur passage. Ils ont même abattu les arbres fruitiers. » Spécialiste des deux conflits mondiaux et des violences contre les civils, Mme Becker a authentifié les carnets d’Achille, mais pense qu’ils ont été « mis au propre » après la guerre. Ils n’en restent pas moins un témoignage exceptionnel, écrit dans un grenier par un reclus volontaire, espérant un jour être lu.
1914, et soudain la guerre !, documentaire de Cédric Gruat (Fr., 2024, 90 min). Sur France 2, le mardi 12 novembre, à 21 h 05.
Le Confiné de 14-18. Mémoires d’un postier, documentaire de Frédéric Monteil (Fr., 2024, 75 min). A la demande sur MyCanal.