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Histoires Web vendredi, juin 20
Bulletin

La direction du CNRS vient de publier un « Guide de l’expression publique des scientifiques du CNRS ». Il détaille les moult précautions que doit prendre un scientifique lorsqu’il prend – ou qu’on lui donne – la parole à la radio, la télévision, pour la presse écrite et les réseaux sociaux. Les conseils sont stricts, et souvent judicieux. Ils s’appuient sur un travail conséquent du Comité d’éthique du CNRS sur « l’engagement public des scientifiques », de juin 2023. Les dessins humoristiques (certains reproduits dans cet article), soulignent – volontairement ? – la difficulté de certains de ces conseils : comment préciser d’où on parle, au nom de quelles compétences et le contexte d’une information quand ce prérequis d’une parole bien située… occupe la totalité des trois minutes accordées (oui, trois minutes car le dessin ci-dessous illustre plutôt un magazine de France Culture comme format)  ?

guide du CNRS

La direction du CNRS, sans donner aucun exemple dans ce guide, alerte contre l’abus de position scientifique, lorsque le sujet n’est pas de la compétence professionnelle du chercheur, lorsque ce qui est exprimé est un point de vue personnel, ou minoritaire dans la communauté scientifique. Destiné à solidifier l’écoute confiante de la société en encadrant strictement une parole où se croisent liberté d’expression (et académique) des scientifiques comme citoyens et volonté de légitimer cette confiance sociétale par un encadrement déontologique, il mérite d’être aussi médité par les journalistes. Il mérite aussi quelques commentaires. En voici un.

Guide du CNRS

Critique acide

Le premier est prédit par Antoine Petit, le PDG du navire amiral de la recherche publique. Ce dernier précise ainsi dans son préambule au Guide : « J’ai bien conscience que cette démarche pourrait être critiquée. Il nous est notamment souvent reproché de ne pas intervenir quand un scientifique du CNRS prend publiquement une position controversée (souvent sur un sujet polémique). Et il est rare en effet que le CNRS le fasse  ». Qu’il se rassure, la critique acide qui s’annonce ne lui est pas du tout spécifique et s’adresse à nombre de ses homologues, voire à d’autres institutions comme l’Académie des sciences.

Commençons par ce terme pour le moins agaçant : « controversée ». Antoine Petit admet que les directions d’organismes de recherche (et d’Universités) sont souvent silencieuses lorsque des scientifiques – dont ils sont les employeurs et qui se réclament de leur état de scientifiques pour légitimer le contenu de leurs expressions publiques – prennent la parole pour des « positions controversées  ». S’il y a controverse, en sciences, c’est qu’il y a débat scientifique à trancher par des arguments rationnels issus de la recherche. C’est donc très honorable, cela peut être très long, et constitue souvent la méthode numéro-1 par laquelle le savoir progresse. Où serait donc, alors, le problème ?

Mensonges et calomnies

Le problème est que ce vocabulaire choisi par Antoine Petit ne fait qu’occulter le sujet. Que tel ou tel chercheur prenne à témoin l’opinion publique dans une controverse scientifique en cours n’est pas nécessairement une très bonne idée, mais c’est rarement une catastrophe et n’exige pas qu’Antoine Petit se déplace au 20h de TF1. La catastrophe survient lorsqu’un scientifique ment, calomnie, déforme les résultats et méthodes d’une science pour tromper les citoyens et les décideurs.

Cela arrive t-il ? Oui. Pas tous les jours, mais sur des sujets majeurs qui exigent une bonne information des citoyens comme des responsables politiques. Prenons un exemple assez ancien afin de ne pas mettre en cause Antoine Petit. Dans une dépêche de l’AFP, le 11 mars 2008, Claude Allègre déclare : « En 2007, la température moyenne dans le monde est la plus basse qu’il y ait jamais eu depuis 100 ans  ».

Depêche AFP 11 mars 2008

Ce n’est pas une « position controversée ». C’est un mensonge factuel. Grossier, puisque les scientifiques qui mesurent cet indicateur planétaire précisent, en 2008 et avant que Claude Allègre fasse cette déclaration, que l’année 2007 est l’une des 10 années les plus chaudes entre 1900 et 2007 (la 7ème pour le Met Office, la 5ème pour la NOAA). Mais ce mensonge est efficace. Qui, parmi les dizaines de millions de Français qui ont en écho (car il est largement diffusé par des médias complices ou incompétents), sait immédiatement où trouver la bonne information ? Deux années – 2008 et 2009 – à répéter ad nauseam ce genre de mensonges sur la climatologie dans les médias (France-2 avec David Pujadas, Le Point, Arte, etc – et le sondage récurrent de l’ADEME sur la représentation sociale de l’effet de serre affichera son record de climato-scepticisme sur 24 ans dans l’itération de 2010.

Guide du CNRS

Directions silencieuses

A l’époque ni la direction du CNRS, ni celle de son Institut des sciences de la Terre et de l’Univers, ni les dirigeants de l’Académie des sciences, tous concernés, n’ont pipé mot. Il a fallu que de jeunes scientifiques, révoltés de se voir insultés régulièrement par Claude Allègre et Vincent Courtillot, se mobilisent pour obtenir un timide soutien (bien aidés par quelques journalistes qui ont sauvé l’honneur de la profession malgré les pressions). Les mensonges du duo de l’Institut de Physique du Globe de Paris furent nombreux et d’une violence de même tonneau. Où se trouvaient les interventions des directions du CNRS et de l’Académie des sciences pour alerter les citoyens et les élus et dirigeants politiques, mettre les journalistes en face de leurs responsabilités sociales ? Nulle part.

Cet épisode aujourd’hui utilisé pour former des étudiants en journalisme est ancien. Mais que dire de l’étonnante pusillanimité des directions du CNRS et de l’INSERM lorsque, alors que l’on perdait la vie par dizaines de milliers du virus de la COVID, des scientifiques ont menti et calomnié. Lorsque Didier Raoult ou le sociologue Laurent Mucchielli, par exemple, contribuaient à augmenter le nombre de morts par leurs expressions publiques ? Lorsque l’urgence vitale est en jeu, que penser d’un communiqué de la direction du CNRS, le 24 août 2021, qui déplore « les prises de position publiques de certains scientifiques, souvent plus soucieux d’une éphémère gloire médiatique que de vérité scientifique, sur des sujets éloignés de leurs champs de compétences professionnelles comme par exemple sur la vaccination contre la Covid. » Quelles sont ces mystérieuses « prises de position », qui sont ces scientifiques ? Mystère et boule de gomme, le communiqué n’en pipe mot. Il faut insister pour que l’on précise aux journalistes, oralement, que c’est notamment le sociologue Laurent Mucchielli qui est visé. Pourquoi, alors, demeurer sibyllin ? Pourquoi n’avoir comme seule accusation de ne pas «  respecter les règles en vigueur dans le cadre de publications scientifiques  », alors qu’il s’agit de respecter bien autre chose : non seulement le minimum de l’honnêteté intellectuelle dans l’espace public, mais surtout de déclarations susceptibles de conforter des personnes dans des comportements à risques, augmentant la probabilité de contracter la maladie et d’en décéder.

Rappels théoriques ou messages clairs

Dans ces deux affaires, une question dérangeante survient. Et si les menteurs avaient été des très jeunes chercheurs, tout juste embauchés, voire en CDD ? Auraient-ils bénéficié d’un traitement aussi bénin ? Le communiqué du 24 août 2021 se termine ainsi : « le CNRS rappellera chaque fois que nécessaire les principes de la charte française de déontologie des métiers de la recherche. » Ce n’est pas de rappels théoriques dont la société a besoin. C’est de messages clairs permettant notamment aux intermédiaires – journalistes, dirigeants politiques – de ne pas hésiter lorsqu’il faut parler de mensonges et non de « controverses ».

Antoine Petit écrit que les scientifiques ont rarement choisi ce métier dans l’objectif de s’adresser au large public, et qu’il n’y a donc aucune « obligation » à le faire. C’est vrai. En revanche, les directions des institutions scientifiques et universités ont cette obligation morale et sociale, dès lors que l’un de leurs membres utilise son statut de scientifique pour tromper les citoyens. Ce n’est pas agréable à faire – comme lorsqu’il s’agit de punir un scientifique ayant commis une faute déontologique, une fraude, dans le cadre de son activité de recherche – mais cela fait partie du job.

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