Alors qu’il subit depuis le 13 juin une campagne massive de bombardements israéliens, le régime au pouvoir à Téhéran peut prendre la mesure de son isolement. Ce régime s’est rendu détestable, il est vrai, avec persévérance, mais il paie avant tout le prix de son choix d’enrichir l’uranium à des niveaux seulement compatibles avec un programme militaire, en dépit de ses dénégations. La volonté d’y mettre un terme définitif permet d’ailleurs à Israël de bénéficier du soutien affiché ou tacite de nombreux pays occidentaux.
Pour Téhéran, cette offensive israélienne intervient au pire moment. Les précédentes frappes et représailles, en 2024, ont souligné les limites de son arsenal. « L’axe de la résistance », qui constituait son premier rideau défensif, a été considérablement affaibli après la décimation de la milice chiite du Hezbollah libanais à l’automne. Elle a entraîné par ricochet la chute à Damas de Bachar Al-Assad, devenu pendant la guerre civile qui a ravagé son pays l’obligé du régime iranien. Ce dernier ne peut guère compter sur un réflexe patriotique d’unité après des années de répression de son peuple, étranglé par les sanctions internationales liées à ce programme nucléaire.
Une autre voie, diplomatique, avait été empruntée par le passé, avec la conclusion en 2015 d’un accord, à la suite de la patiente mise en place par Washington d’une large coalition internationale. L’Iran y avait accepté de limiter ses ambitions nucléaires en échange de sa réintégration régionale et de la levée de ces sanctions. Cet accord décrié par les va-t-en guerre aurait pu modifier la donne s’il n’avait pas été déchiré par Donald Trump au cours de son premier mandat. Le président des Etats-Unis a d’ailleurs tenté, dans la précipitation, de parvenir à un nouveau compromis avec Téhéran dès son retour à la Maison Blanche, pour éviter d’être attiré dans un nouveau conflit régional.
Car le pari israélien comporte son lot d’inconnues, au-delà de l’escalade en cours. La première concerne tout d’abord les buts de guerre. En invitant les Iraniens au soulèvement, le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, semble lier la destruction du programme nucléaire et le changement de régime, dans une région qui a connu des précédents désastreux. L’efficacité des bombardements israéliens reste également à prouver, sans compter qu’ils pourraient inciter le régime iranien, s’il est capable de résister à cette humiliation, à reprendre son programme clandestinement, en coupant les ponts avec l’Agence internationale de l’énergie atomique, qui permet jusqu’à présent de mesurer ses avancées.
La voie de la force et le mépris du droit soulèvent une autre interrogation. Qu’entend faire Israël de son nouveau statut de superpuissance militaire régionale ? La volonté de redessiner le Moyen-Orient en fonction de ses intérêts, et seulement de ses intérêts, suscite déjà les plus grandes inquiétudes. A Gaza, tout d’abord, où les bombardements sans horizon politique entretiennent le chaos. Au Liban et en Syrie ensuite, où Israël fragilise, par ses frappes incessantes, la délicate remise en route des institutions à Beyrouth et la périlleuse transition en cours à Damas.
Il faut pourtant résister à l’ivresse de la puissance et prendre la mesure des devoirs qu’elle confère. Dans le cas contraire, Israël perdrait une occasion unique de briser le cycle des guerres dont le Moyen-Orient est resté jusqu’à présent prisonnier.