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A Drouot, vénérable hôtel des ventes parisien, un scandale lié aux biens culturels africains spoliés à l’époque coloniale a été évité de peu. Vendredi 20 décembre, à l’occasion d’une vente baptisée « Tribal Exception », les autorités béninoises, appuyées par le ministère français de la culture, ont sollicité la maison de vente Millon pour que celle-ci retire de son catalogue un sceptre royal mis aux enchères et dont le prix de réserve était de 8 000 euros. « Nous avons décidé de suspendre la vente pour ne pas nous engager dans un bras de fer stérile », a expliqué un cadre de la maison Millon au Monde, tout en précisant que « rien ne s’oppose juridiquement à cette vente ».

Cette récade en bois dur, en forme de massue de patine rousse et brune, sculptée d’une main fermée sur le foie d’un ennemi vaincu, symbolise l’autorité de Béhanzin, dernier roi du Dahomey (1890-1894). Selon la description du catalogue, cet objet du patrimoine culturel du Bénin aurait été « offert » par le roi lui-même aux troupes coloniales lors de sa reddition, le 15 janvier 1894, qui marqua la défaite du royaume et son annexion par la France.

Acquis par voie successorale, ce sceptre appartient aujourd’hui à un descendant d’Emmeran de Curzon, un officier de l’infanterie de marine qui participa à la campagne militaire française dirigée par le général Alfred Dodds contre le royaume africain. « La propriété de notre vendeur n’est toutefois pas remise en cause », précise le cadre de la maison Millon.

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Ce sont les conditions d’acquisitions de ce sceptre qui font débat. Il « fait partie des nombreux objets d’arts pillés », estime Marie-Cécile Zinsou, présidente de la Fondation Zinsou, qui dénonce une « falsification de l’histoire ». La collectionneuse et fondatrice du Musée d’art contemporain de Ouidah (sud-ouest), qui se bat pour la restitution du patrimoine africain pillé par les anciennes puissances coloniales, a donc alerté la présidence béninoise. Cette dernière a pris contact avec le ministère français de la culture afin de pousser la maison Millon à retirer la récade du catalogue de vente.

« Nous travaillons actuellement à un futur rapatriement du sceptre en lien avec la famille concernée, la maison de vente et les autorités françaises », indique Alain Godonou, chargé de mission aux patrimoines et aux musées de la présidence béninoise : « Nous sollicitons l’ensemble des mécanismes légaux afin d’y parvenir. Nous ne sommes pas dans une démarche militante. »

Trésors royaux

La suspension de la vente de cette pièce s’inscrit dans « une politique culturelle et muséale cohérente », détaille Jean-Michel Abimbola, ministre béninois du tourisme, de la culture et des arts : « Ce sceptre royal, qui représente l’âme du peuple béninois, doit à long terme pouvoir intégrer la collection nationale béninoise. »

En 2016, le président béninois, Patrice Talon, avait exigé officiellement la restitution des artefacts spoliés par la France lors de la conquête du Dahomey, ancien royaume situé dans le sud de l’actuel Bénin. En réaction et sous la pression de chercheurs, de militants et de responsables institutionnels africains, Emmanuel Macron avait fait de la restitution des biens culturels un des piliers de sa politique africaine. « Je veux que d’ici cinq ans, les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique », avait-il déclaré à l’université de Ouagadougou, au Burkina Faso, en novembre 2017.

Lire le décryptage (2020) | Le trésor de Béhanzin et le sabre d’Oumar Tall appartiennent de nouveau aux Africains

En 2019, dans le sillage de ses promesses politiques, Paris avait remis symboliquement au président sénégalais de l’époque, Macky Sall, le sabre d’Oumar Tall, fondateur de l’empire toucouleur aux confins de la Guinée, du Sénégal et du Mali. Deux ans plus tard, en novembre 2021, la France avait restitué au Bénin 26 œuvres des trésors royaux d’Abomey pillés au XIXe siècle par les troupes coloniales. Un « moment historique de fierté nationale » pour les autorités béninoises.

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Dès 2017, l’Elysée avait missionné les universitaires Bénédicte Savoy et Felwine Sarr pour étudier la question des restitutions, temporaires ou définitives, du patrimoine africain aux pays d’origine. Selon leur rapport publié en 2018, 90 % du patrimoine culturel et artistique africain est conservé hors d’Afrique, notamment dans des musées européens. En France, un projet de loi sur la restitution des biens culturels ayant fait l’objet d’appropriations illicites entre 1815 et 1972 devait être discuté à l’Assemblée nationale au printemps 2024. Mais celui-ci a été reporté sine die en raison de l’instabilité politique française.

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