Mais que vont-ils chercher dans l’antique Rome, tous ces industriels qui jouent les historiens amateurs ? Nous voulons parler des patrons des grandes entreprises du numérique outre-Atlantique, d’Elon Musk, de Mark Zuckerberg ou de Palmer Luckey et de Jack Dorsey, qui proclament leur amour de la Rome antique : ils disent y trouver un modèle à la fois moral et politique.
On aurait beau jeu de reprendre une à une leurs déclarations afin d’en rectifier les inexactitudes ou d’en nuancer les interprétations. Le créateur de Twitter (aujourd’hui X), Jack Dorsey, dresse volontiers un parallèle entre l’avènement d’Internet et le développement des aqueducs par l’Empire romain. Quant au puissant investisseur Marc Andreessen, il croit voir dans l’Empire romain, à la date de 250 après J.-C., une première Californie où l’on vivait une « explosion de culture et de créativité ». Or, en 250-251, l’empereur Dèce, à des fins patriotiques et sous la pression des barbares, imposait à toute la population de l’Empire de prêter serment à la divinité du prince (princeps) – prélude à une féroce répression des chrétiens qui refusaient de le faire. Une dizaine d’années plus tard, l’Empire connaissait ses premières pertes territoriales…
Ce jeu serait vite lassant et nous préférons nous demander ce qui explique ce retour à Rome dans l’esprit des grands capitaines de l’industrie et de certains hommes politiques français.
Notons tout d’abord que l’Antiquité romaine n’est plus le territoire sacré et effrayant de jadis. Plus personne n’imaginerait, aujourd’hui, qu’un professeur d’histoire romaine soit honoré du prix Nobel de littérature, mais c’est ce qui arriva en 1902 à Theodor Mommsen (1817-1903), le grand juriste et latiniste allemand. Rome n’est plus réservée aux seuls latinistes : l’accès à Cicéron est devenu libre, notamment sur Internet. La langue n’est plus un obstacle : on lit aujourd’hui les auteurs latins en traduction. Naguère, les touristes admiraient les ruines : aujourd’hui, ils assistent à des reconstitutions et parcourent les ruelles de Pompéi en 3D, un casque de réalité virtuelle sur la tête. Autrement dit, tout le monde connaît la Rome antique, ses temples et ses statues : inutile de lire Tite-Live ou Tacite.
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