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LETTRE DE SYDNEY

La sénatrice aborigène Lidia Thorpe n’a pas pour habitude de passer inaperçue ou de courber l’échine. Lundi 21 octobre, vêtue d’un manteau traditionnel en peau d’opossum, elle s’est dirigée droit vers le roi Charles III, chef de l’Etat australien, alors reçu au Parlement de Canberra dans le cadre d’une visite de six jours dans le pays, pour lui exprimer tout le mal qu’elle pensait de la Couronne britannique.

« Nous voulons un traité dans ce pays. Vous êtes un génocidaire. Ce n’est pas votre terre (…). Vous n’êtes pas notre roi. Merde à la colonie ! », a-t-elle eu le temps de crier avant d’être fermement raccompagnée vers la sortie. Un coup d’éclat qui a laissé ses collègues mortifiés, mais qui a eu le mérite de remettre la question des droits et de la reconnaissance des Aborigènes sur le devant de la scène médiatique, un an après un référendum historique visant à leur accorder une voix au Parlement et qui s’était soldé par un non.

« Pendant environ deux cent cinquante ans, les peuples aborigènes et ceux du détroit de Torres [un chapelet d’îles situé entre l’Australie et la Nouvelle-Guinée] ont employé toutes sortes de tactiques pour faire entendre leurs revendications, explique Celeste Liddle, une figure publique de cette communauté. Lidia Thorpe a introduit une forme de militantisme direct, de terrain, au cœur même des lieux de pouvoir. Les Australiens n’avaient que rarement été exposés à cette approche. »

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La collision entre le monde aux apparences policées de la politique australienne et l’activisme disruptif de l’élue a été brutale. Pour la plupart des parlementaires qui ont vu l’une de leurs collègues invectiver le souverain britannique au sein même de l’Hémicycle, il était difficile d’imaginer scène plus embarrassante. L’Australie, bien qu’indépendante depuis 1901, est restée une monarchie constitutionnelle. En 1999, les électeurs, interrogés sur un éventuel changement de Constitution visant à ce que leur pays devienne une république, avaient répondu par la négative.

« A contrario, sur mes réseaux sociaux, sur lesquels je suis en contact avec un large réseau de personnes aborigènes, j’ai constaté une grande fierté et beaucoup d’enthousiasme pour ce que Lidia Thorpe a osé faire face au roi », décrypte Celeste Liddle.

Terra nullius

Ce n’est pas la première fois que Lidia Thorpe défie l’ordre établi et jette une lumière crue sur les revendications des peuples autochtones australiens. En 2022, lors de sa prestation de serment après son élection au Parlement fédéral sous la bannière des écologistes, elle s’était présentée le poing levé, en référence au mouvement Black Power, et avait ajouté l’épithète « colonisatrice » à « sa Majesté la reine Elizabeth II ». Réprimandée à l’époque par la présidente de séance, elle avait été contrainte de recommencer, exercice auquel elle s’était pliée en adoptant un ton narquois.

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