Meilleures Actions
Histoires Web samedi, avril 27
Bulletin

Célèbre pour ses interprétations dans les séries The Wire ou Luther, l’acteur britannique Idris Elba souhaite aujourd’hui endosser un rôle d’un genre nouveau : bâtisseur d’une ville intelligente et écologique sur une île de Sierra Leone. Dans ce pays d’Afrique de l’Ouest dont son père est originaire, la star « rêve » de voir émerger une cité qui redéfinisse « la façon dont l’Afrique est perçue », comme il l’a confié à la BBC. « L’idée est d’être autonome, de mettre en place une économie qui se nourrit d’elle-même et qui a un potentiel de croissance », a-t-il résumé.

Selon l’acteur et son associé, Siaka Stevens, petit-fils de l’ancien président sierra-léonais du même nom et qui, comme Idris Elba, a grandi à Londres, la ville pourrait à terme accueillir jusqu’à un million de personnes ainsi que de nombreuses entreprises. Le tout à Sherbro, une île de 600 kilomètres carrés située à deux heures de ferry de la côte, où les quelque 40 000 habitants vivent essentiellement de la pêche, de la riziculture et d’un peu de tourisme.

Développé dans un pays figurant parmi les plus pauvres du monde, le dessein intrigue par son ambition. « Sherbro Island pourrait avoir le même rôle vis-à-vis du marché ouest-africain qu’Hongkong avec la Chine », assure au Monde Siaka Stevens, mettant en avant la carte maîtresse du projet : une « structure de gouvernance unique », basée sur un partenariat public-privé avec l’Etat sierra-léonais.

Lire l’entretien : Article réservé à nos abonnés « Les projets de villes nouvelles en Afrique sont déconnectés des besoins réels des populations »

L’île doit être transformée en zone économique spéciale, dotée d’un système économique et juridique distinct et placée sous la houlette du secteur privé. Une série de partenaires a déjà été associée au projet, parmi lesquels l’assureur britannique Lloyds, les bureaux d’études Sasaki et Frost & Sullivan, ou encore le fournisseur européen d’énergie Octopus qui doit construire sur l’île un parc éolien et solaire. Aucun budget n’a été fixé pour l’ensemble du chantier. Le calendrier reste flou également, même si les promoteurs disent espérer voir se concrétiser de premières réalisations d’ici cinq ans, notamment des installations touristiques.

Pas le premier projet

Siaka Stevens espère que le potentiel économique de la smart city et ses futures infrastructures – notamment un port et un aéroport – attireront aussi les membres de la diaspora : « Aujourd’hui, nombre d’entre eux sont tentés par le retour mais ils trouvent souvent le pays trop difficile pour vivre et travailler. Sherbro Island pourrait leur offrir un cadre propice, tout comme aux multinationales qui profiteront d’exemptions fiscales et de nombreux avantages réglementaires. » La localisation commerciale stratégique de l’île, dans les eaux du golfe de Guinée, est aussi mise en avant. Pourtant, son éloignement du continent et d’autres grands centres urbains pose question.

Lire le décryptage : Article réservé à nos abonnés En Afrique, la ville s’étend entre anarchie et développement

Sherbro Island est loin d’être le premier projet de ville nouvelle lancé en Afrique. Au cours des quinze dernières années, de nombreux chantiers ont été annoncés ou mis en route. Cependant peu d’entre eux ont réellement abouti. Ainsi, au Sénégal, Akon City, ville futuriste portée par le rappeur américano-sénégalais Akon, reste pour l’heure dans les limbes. La première phase de cette métropole à l’esthétique inspirée du Wakanda, royaume fictif des films Black Panther, et au coût estimé à 6 milliards de dollars, aurait dû être achevée fin 2023. Mais les travaux n’ont toujours pas débuté.

Avant cela, Hope City, un technoparc censé être érigé en 2016 à proximité d’Accra, la capitale ghanéenne, et qui devait héberger la tour la plus haute du continent, n’a jamais vu le jour non plus. Au Kenya, Konza Technopolis, une smart city consacrée à l’innovation, avance à pas de fourmis. Toujours en quête de ses habitants, elle ne ressemble guère à la ville annoncée par les autorités il y a plus de quinze ans…

« Ouverture à l’économie internationale »

« Fréquemment, ces projets s’arrêtent après la construction de quelques infrastructures, ou bien la réalité sur le terrain se révèle très éloignée des objectifs de départ, relève Sina Schlimmer, chercheuse au centre Afrique subsaharienne de l’Institut français des relations internationales. Bâtir un centre urbain est une tâche complexe mais ces villes nouvelles sont souvent présentées avec une forme d’urgence, notamment de la part des Etats qui espèrent à travers elles démontrer leur ouverture à l’économie internationale. »

Pour autant, comme le fait remarquer cette spécialiste des questions d’urbanisation, le label « smart city » ou « ville nouvelle » est appliqué à des projets aux philosophies différentes. Et celui de Sherbro Island s’inscrit résolument dans le temps long, ses promoteurs évoquant un processus qui pourrait durer des « décennies ».

Lire l’entretien (2017) | « On essaie de vendre aux Africains un concept de ville élaboré dans les conférences internationales »

« De toute façon, il est impératif d’explorer des voies nouvelles pour faire face à l’urbanisation galopante du continent », fait valoir Kurtis Lockhart, directeur du Charter Cities Institute, une organisation américaine qui promeut la création de centres urbains dans les pays en développement. En Afrique, la population urbaine double tous les vingt ans. « Or les municipalités existantes ont des capacités financières et techniques limitées, poursuit l’expert. Une ville nouvelle impliquant le secteur privé et jouissant à la fois d’une certaine autonomie et du soutien des autorités peut constituer une réponse intéressante. »

Reste à savoir si Sherbro Island sera, comme le vante Siaka Stevens, « la première ville bien planifiée du continent ». Ou si cette « écocité afro dynamique et internationale », tel qu’il la dépeint, en restera à son tour au stade de l’utopie urbaine.

Réutiliser ce contenu

Share.
© 2024 Mahalsa France. Tous droits réservés.