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Histoires Web dimanche, octobre 13
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Lucie Retail danse à nouveau. Sans pieds ni mains, sans complexes également. Une fois par mois, cette mère solo de trois enfants quitte avec ses prothèses sa maison de Blain (Loire-Atlantique) et saute dans sa voiture automatique, direction Vertou, à une heure de route, où l’attend une professeure de danse dite « intuitive ». Une vidéo publiée sur son compte Instagram la montre au milieu d’un parquet, chaloupant gracieusement avec ses quatre membres incomplets au son d’une romance en anglais. Lucie Retail pratiquait la danse « avant ». Rien ne saurait l’en priver aujourd’hui. Ni les lois de l’équilibre ni le venin du regard de l’autre.

Polyamputée, cette ancienne commerciale de 43 ans l’est devenue par la faute d’un moustique, lors d’un voyage en Afrique début 2023. Un paludisme sévère avait alors entraîné une nécrose de ses extrémités. Au médecin qui lui annonça l’insoutenable obligation de sectionner ses mains et ses pieds, elle avait alors répliqué, non sans humour : « Ça, ce n’était pas prévu au programme. »

S’ensuivirent « trois mois de désespoir » dont l’apogée fut le départ de son compagnon – ce qui, au final, ne s’avéra « pas une grosse perte : il était violent et infidèle », assène-t-elle. Puis vinrent l’acceptation et la décision de contrecarrer « l’idée reçue selon laquelle un handicapé est forcément pauvre et dépressif ». Combien de fois, après son opération, lui a-t-on confié, sans délicatesse, qu’à sa « place, [on] aurait préféré mourir » ? N’imaginant pas une seconde « passer ses journées à manger des glaces sous sa couette en regardant Netflix », Lucie Retail a choisi de vivre. A cent à l’heure.

« De la grâce dans l’horreur »

La privation de ses fonctions de préhension et de locomotion ne l’a pas empêchée, en septembre, de gravir le pic du Taillon (3 144 mètres), dans les Pyrénées, à l’initiative d’une association d’amputés. Ni de participer à un défilé de mode organisé par une marque de lames de sport. Aux Jeux paralympiques de Paris 2024, son témoignage a irradié la cérémonie d’ouverture : « J’ai un corps qui a survécu, l’a-t-on entendue raconter sur les écrans géants du Stade de France. Il ne correspond plus aux codes de féminité. Mais il est plus fort et plus beau qu’il ne l’a jamais été. » Invitée par l’Unesco à un colloque international sur l’inclusion des personnes en situation de handicap, elle a pu marteler l’idée que le fameux « regard de l’autre » pose moins problème que « le regard que les handicapés ont d’eux-mêmes ».

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Le sien renvoie l’image inversée de sa vie d’avant. La crise de la quarantaine avait saisi cette responsable export d’une entreprise nantaise de produits de désinfection et d’hygiène : divorce avec le père de ses enfants, rupture conventionnelle avec son employeur… Sa quadruple amputation a alors agi comme un révélateur : « La prise de conscience que j’avais passé ma vie à essayer de la contrôler, à m’agiter dans tous les sens, à chercher la performance, à essayer de devenir une bonne personne », s’ouvre-t-elle.

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