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Au pouvoir depuis vingt-deux ans, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a fait incarcérer, dimanche 23 mars, une des rares personnes qui étaient en mesure de le battre dans les urnes : le social-démocrate et atatürkiste revendiqué Ekrem Imamoglu, maire d’Istanbul depuis 2019, qui devait être, le même jour, désigné comme candidat à la prochaine présidentielle du Parti républicain du peuple (CHP).

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En l’attaquant avec l’arme la plus redoutable dont il dispose − la justice −, sous couvert de multiples accusations, dont celle de « corruption », et en réprimant les imposantes manifestations de protestation organisées dans tout le pays, l’homme fort de la Turquie achève ce qu’il a commencé il y a une bonne dizaine d’années : le détricotage systématique de l’Etat de droit et des contre-pouvoirs.

Cette inquiétante régression de la démocratie a été marquée dès 2013 par la répression des manifestations anti-Erdogan du parc de Gezi à Taksim, suivie d’une dérive autoritaire. Puis, deux ans plus tard, par la fin brutale et sanglante des négociations de paix avec les Kurdes et l’incarcération d’élus et de figures politiques comme le populaire Selahattin Demirtas. S’y sont ajoutées aussi les répercussions du coup d’Etat raté de 2016 et les purges gigantesques au sein des institutions publiques des membres de la confrérie du prédicateur Fethullah Gülen ; avec qui le président s’était pourtant allié pendant des décennies.

Résultat de l’élection connu d’avance

Il y a eu ensuite l’adoption de lois liberticides, la destitution de maires et les arrestations de plus en plus nombreuses d’intellectuels, d’artistes, de journalistes de gauche ou proches de l’opposition libérale. De tout temps, le chef de l’Etat est apparu prêt à faire un pas de plus pour garder le pouvoir. Jamais, toutefois, il n’était allé aussi loin qu’aujourd’hui.

Certes, l’environnement électoral turc ressemble peu à une compétition loyale. La quasi-totalité du paysage médiatique est sous contrôle, tout comme l’appareil d’Etat. Mais l’opposition a toujours été en mesure de présenter des candidats viables. L’incarcération d’Ekrem Imamoglu ordonnée par un juge marque un moment de bascule inquiétant : le gouvernement franchit la ligne qui sépare le système autoritaire mais pluraliste de la Turquie d’une autocratie complète de type russe ou azerbaïdjanais. Le candidat de l’opposition n’est pas librement choisi par elle-même. Le résultat de l’élection, lui, est connu d’avance.

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Le président turc semble estimer qu’il est l’abri d’un retour de bâton. Réprimées par une considérable armada policière, les centaines de milliers de personnes qui descendent dans la rue ne l’ont jamais fait reculer. Et le fait de s’attaquer aussi frontalement à la formation d’Ekrem Imamoglu, le CHP, fondé en 1923 par le père de la République, Mustafa Kemal Atatürk, ne semble pas non plus l’inquiéter, au contraire même. D’autant que la prochaine élection présidentielle turque n’est en principe prévue qu’en 2028.

Paris et Berlin, ainsi que plusieurs maires de villes européennes, ont protesté contre l’arrestation d’Ekrem Imamoglu. Mais la condamnation par l’Union européenne de la répression de 2013 paraît bien loin. Certes, compte tenu de la présidence Trump, de la guerre en Ukraine et de la situation en Syrie, le président de la Turquie, Etat membre de l’Alliance atlantique, peut être considéré par les Occidentaux comme un partenaire important. Mais que ce grand pays pivot s’enfonce durablement dans l’autocratie serait non seulement un drame pour sa population, mais une terrible nouvelle pour tous les défenseurs de la démocratie.

Le Monde

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