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Les neuropsychologues parlent de souvenir flash. Soit la mémoire précise, vivace, des circonstances dans lesquelles on a appris une information. Les plus âgés se souviennent avec précision de ce qu’ils faisaient et où ils étaient à l’annonce de la mort de JFK ou de Marilyn Monroe. Il en va de même pour la chute du mur de Berlin, les attentats du 11-Septembre ou, un jour – qui sait ? –, la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques parisiens de 2024.

Pour les cinéphiles, une date est à part, empreinte d’une émotion particulière : leur premier visionnage de Jeanne Dielman, ou plutôt Jeanne Dielman, 23, quai du Commerce, 1080 Bruxelles dans son titre intégral, film de Chantal Akerman, sorti en salle en France en 1976.

Chacun a son souvenir, son flash. Laura Mulvey, critique de cinéma britannique parmi les plus influentes du XXe siècle, à l’origine du concept de male gaze (regard érotisant porté sur les actrices par des réalisateurs masculins), revit encore cette projection au festival d’Edimbourg, en Ecosse, en août 1975, et « le sentiment bouleversant de voir un film comme personne n’en avait réalisé avant ». C’est au Champollion, célèbre salle de cinéma du Quartier latin à Paris, que la comédienne Sylvie Testud l’a découvert, dans les années 1990, avant de travailler avec Chantal Akerman sur La Captive (2000) et Demain on déménage (2004). « Un choc indescriptible. »

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L’essayiste Hélène Frappat, autrice de l’essai Le Gaslighting ou l’art de faire taire les femmes (L’Observatoire, 2023), l’avait visionné sur « une VHS refilée par quelqu’un » à la fin des années 1990. Quant à la violoncelliste Sonia Wieder-Atherton, qui deviendra la compagne de la cinéaste, elle rit encore de ces deux dames dans la file d’attente d’un cinéma new-yorkais, au début des années 1980, qui « avaient regretté de ne pas avoir emporté de sandwich » en découvrant la longueur du film. Jeanne Dielman dure en effet trois heures et vingt minutes.

Le plus célèbre long-métrage de la cinéaste belge, née en 1950 et morte en 2015, est le récit de trois jours de la vie d’une femme au foyer, incarnée par Delphine Seyrig, veuve et mère d’un adolescent. Dans une série de plans fixes, la caméra la montre, vêtue d’un tablier à carreaux ou d’un gilet de laine, en train de faire les courses, de cirer des chaussures, d’éplucher des pommes de terre, de paner des escalopes. Et, chaque fin d’après-midi, de se prostituer.

Cité par Gus Van Sant ou Alice Diop

Qui a vu Jeanne Dielman ? Pas grand monde. A sa sortie, en janvier 1976, en même temps que Les Dents de la mer, de Steven Spielberg, ils sont quelques milliers seulement à se rendre en salle. Longtemps, le film est resté « ce mythe partagé par les seuls cinéphiles », selon Hélène Frappat. « Un secret bien gardé, chéri », confie la commissaire Marta Ponsa, qui a œuvré avec la curatrice Laurence Rassel à la vaste rétrospective actuellement consacrée à Chantal Akerman au Jeu de Paume, à Paris.

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