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L’action transcende la peur. Aujourd’hui, il suffit de lire les notifications des journaux sur son téléphone tous les matins pour avoir peur. La lucidité sur la réalité du contexte géopolitique, de la violence structurelle et de l’état de la planète peut faire basculer dans le déni, ou au contraire déclencher l’indignation nécessaire à une mise en mouvement. Dans ce cas, le passage à l’action génère de l’espoir et crée une conscientisation. « L’optimisme est quelque chose qu’on doit travailler », répondait Angela Davis à la question d’une lycéenne dans L’espoir est une discipline [éditions Aden, 87 pages, 7 euros]. Bloquer l’Assemblée générale de TotalEnergies pour demander l’arrêt des projets d’extraction d’énergies fossiles ou occuper une mine de charbon avec des milliers de personnes fait naître un courage contagieux. Alors que la montée du fascisme et du climatoscepticisme riment avec résignation, intimidation, isolement et silence ; nos luttes, elles, sont joyeuses, vocales et déterminées. Elles revêtent des formes multiples, jusqu’à la désobéissance civile lorsqu’elle s’avère nécessaire.

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Les formes organisationnelles sont aussi importantes que les objectifs politiques. Si Rosa Parks est connue aujourd’hui, c’est parce qu’elle a été l’une des figures choisies par les collectifs de lutte pour les droits civiques des Afro-Américains aux Etats-Unis dans les années 1950. Son action a été amplifiée par les organisations pour rallier une partie de la population – y compris blanche – à leur cause. Elle a permis de déclencher un gigantesque boycott des bus de Montgomery, jusqu’à ce que la Cour suprême déclare anticonstitutionnelles les lois de l’Alabama sur la ségrégation raciale dans les bus fin 1956.

Si, en France, les marches pour le climat de 2018 et 2019 sont nées à la suite d’appels individuels sur les réseaux sociaux, leur réussite tient à leur prise en main par des organisations structurées du mouvement pour le climat qui avaient les épaules pour gérer une vague humaine contestataire dans la rue. Les organisations pour le climat et la justice sociale ont contribué à la politisation des citoyennes et citoyens descendus dans la rue, et offert des moyens d’action concrets. Les liens entre fin du monde et fin du mois, entre les militants pour le climat et les « gilets jaunes » ont pris forme dans l’espace public. Dans cette lignée, une jonction a été réalisée avec les quartiers populaires en 2020 sous le mot d’ordre « On veut respirer », liant les thématiques de violences policières et de la pollution de l’air.

La reliance des luttes, un potentiel révolutionnaire

La non-violence est à la fois un moyen et une finalité. Dans un monde qui glorifie la violence, celle-ci est, à tort, assimilée à la force. Cette confusion peut la rendre attractive, mais les actions violentes entraînent des risques pour les mouvements sur plusieurs plans. La violence contraint à une certaine clandestinité, ce qui, avec le temps, peut rendre les mouvements impopulaires de par leur déconnexion du reste de la population. L’histoire de la lutte armée pour l’indépendance du Pays basque illustre cette impasse (écouter, à ce propos, Comment finir une guerre, de Myriam Prévost, sur Arte Radio).

D’autre part, aller sur le terrain de la violence, c’est aller sur le terrain de prédilection de ceux à qui nous nous opposons. Le gouvernement détient la police et l’armée, et s’octroie le monopole de la violence légitime. Les multinationales peuvent faire appel à des milices privées pour maintenir leurs activités destructrices. En plus de ne pas être stratégique, la violence ne peut façonner un monde en paix. Simone Weil écrivait dans L’Iliade ou Le poème de la force [Rivages poche, 2014] : « L’atmosphère du meurtre quotidien efface aussitôt le but même de la lutte, car on prend l’habitude de tuer, de ne plus estimer la vie humaine, en contradiction avec le but poursuivi. » La violence, c’est le ver dans le fruit. Au contraire, la non-violence, par son exigence de radicalité et la manière dont elle engage la confrontation, ouvre la voie vers un changement de paradigme.

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Qui fait partie de mon réseau ? Ce titre d’un poème de Susan Saxe [Reclaim, recueil de textes écoféministes, coordonnés par Emilie Hache, éditions Cambourakis, 2016], activiste américaine, pose une bonne question. Et si je vous disais que l’avenir des vers de terre va conditionner le nôtre et qu’il est intimement lié à l’issue de la guerre en Ukraine ? De prime abord, la corrélation entre ces deux éléments peut paraître absurde. De fait, ils vont conditionner notre futur et influer sur nos capacités d’atténuation et d’adaptation au dérèglement climatique, de préservation de la biodiversité. Le projet politique de l’écologie ne peut se concrétiser qu’en liant entre elles les luttes pour mettre fin aux rapports de domination de toutes sortes. Dans nos sociétés où tout est organisé en silo, la dissonance cognitive atteint son paroxysme tant un sens global et collectif nous fait défaut.

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Nous devons nous réveiller, ce sont les mêmes systèmes de domination qui surexploitent l’environnement, les corps de celles et ceux méprisés car jugés inférieurs, qui polluent la terre, l’eau, l’air et nos corps impunément. La reliance des luttes, si elle peut être rejetée ou faire peur de par sa substance radicale, peut aussi susciter l’envie grâce à son potentiel révolutionnaire. Une vision positive d’un nouvel imaginaire commun pourrait s’appuyer sur la reliance des luttes et donner envie d’agir pour créer des modes de vie soutenables et justes.

Le Monde

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Face à la montée de l’autoritarisme, aux inégalités qui se creusent, au racisme et à la haine véhiculés par la résurgence de l’extrême droite et de l’idéologie fasciste, nos plus grandes forces seront notre réseau ; notre capacité à s’organiser collectivement avec des actions ancrées sur les territoires, en lien avec la réalité des vies quotidiennes, pour mailler un réseau de résistance et de création aux niveaux local, national et en solidarité avec l’international. Alors, pour protéger les vers de terre, il faut continuer à nous organiser pour déraciner le système productiviste néolibéral, raciste, colonial, patriarcal et guerrier.

Pauline Boyer, activiste pour le climat, est chargée de campagne transition énergétique pour Greenpeace France, et coautrice du Manifeste pour la non-violence (éditions Charles Léopold Mayer, 2022). Elle participera, vendredi 21 mars, à la « grande assemblée » du Monde au festival Nos futurs, autour du thème « Environnement : faut-il faire peur, désobéir, donner envie ? », avec Mathilde Caillard, Cyril Dion, Léna Lazare et Nabil Wakim.
De 18 h 30 à 20 heures à l’auditorium des Champs libres (10, cours des Alliés, 35000 Rennes​). Entrée libre.
L’intégralité du (riche) programme du festival Nos futurs est accessible en suivant ce lien.

Cet article fait partie d’un dossier réalisé dans le cadre d’un partenariat avec les Champs libres et Rennes Métropole.

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