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Histoires Web vendredi, décembre 20
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Ecrivain français dont l’ascendance espagnole s’avéra déterminante, Michel del Castillo est mort à Sens, dans l’Yonne, mardi 17 décembre, à l’âge de 91 ans.

Doté d’une mémoire prodigieuse qui alimenta aussi bien ses romans – où l’Espagne, les figures paternelle comme maternelle sont omniprésentes –, que ses essais – nourris d’une profonde méditation sur toutes les formes d’art et le rôle de l’artiste –, l’homme ne concède rien à sa trajectoire propre, répétant à l’envi : « Je n’ai pas d’autre biographie que les livres, ceux qui m’ont fait et ceux que j’ai faits. »

Celui qui se veut « un enfant des mots » a ainsi choisi sa filiation en se réclamant de Dostoïevski – et il reconnaîtra sa dette dans un essai capital, Mon frère l’Idiot : « Je suis, Fedor, l’une de tes créatures. J’ai commencé par être un de ces enfants stupéfaits qui hantent tes livres. » Aussi Michel del Castillo est-il « né » à l’Asilo Duran, dans un sinistre centre de redressement barcelonais pour mineurs, quand l’adolescent lit Récits de la Maison des morts. Son premier roman, Tanguy (Julliard, 1957), fait le récit de ces années de calvaire.

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L’enfance de Michel Janicot del Castillo est abominable. S’il naît le 2 août 1933 à Madrid, où son père Michel Janicot travaille au bureau du Crédit lyonnais, il y reste seul avec sa mère Candida-Victoria-Isabel del Castillo quand la situation de la jeune République devient fragile. Installé à Clermont-Ferrand, cadre commercial chez Michelin, le père revient inopinément chercher les siens et constate que sa femme a renoué avec un ancien amant. Il repart seul.

Fortement impliquée dans le parti républicain espagnol, l’Andalouse Candida est emprisonnée en 1936, au début de la guerre civile. L’enfant souffre de malnutrition, tombe malade. Finalement à la veille de la victoire des franquistes, il s’enfuit vers Valence avec sa mère condamnée à mort, puis vers France.

Sang et encre

De centres d’hébergement pour réfugiés en passant par des fermes en Auvergne, le jeune Michel est le plus souvent livré à lui-même. Les parents se déchirent et, sur une dénonciation du père, la mère et l’enfant « étrangers indésirables, susceptibles de troubler l’ordre public » sont internés au camp de Rieucros près de Mende, en Lozère. Une séquence éprouvante. A nouveau le froid, la faim, l’angoisse de l’abandon. Evasion, périples clandestins, et finalement, en septembre 1942, sa mère elle-même le livre comme otage en échange de sa propre liberté. L’enfant de 9 ans part en Allemagne, de camp en ferme de travail.

Rapatrié en Espagne en mars 1945, Michel Janicot del Castillo est aussitôt interné en tant que « fils de rouge » dans cette maison de redressement de Barcelone où l’effroi n’interdit pas la grâce. C’est là, à 13 ans, qu’il est foudroyé par une empathie qui décide son son salut : il reconnaît Dostoïevski « au premier regard » et troque son invivable vie contre une vie d’écrivain. Sang et encre.

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Bientôt il s’évade encore, en juin 1949, gagne Madrid, mais sans secours il aurait été perdu si un inspecteur de police, ému par son sort, ne l’avait envoyé dans un collège jésuite à Ubeda en Andalousie. Ce sera son salut. Traitement de choc avec étude intensive du latin et du grec. Pour la première fois, l’adolescent se sent estimé, reconnu. Mais il veut avant tout retrouver les siens, qui ne répondent à aucune de ses démarches. Là encore, un départ brusque pour se rapprocher de la France, l’indigence, un emploi de manœuvre dans une cimenterie, la tentation du suicide.

Finalement Secouru par une phalangiste, Michel cesse d’être un vagabond. Il renoue avec l’étude des lettres, mais se sent prématurément usé par ses errances et ses incertitudes. Encore la volonté d’en finir, encore de providentiels secours et la rupture sans appel avec son père, définitivement indigne. Sa mère, qu’il recroise par hasard en mai 1955 à Paris, ne l’a pas davantage recherché. Ces abandons resteront sans explications. Heureusement, son oncle Stéphane Janicot et son épouse Rita, vraie figure maternelle, accueillent le jeune homme – ce foyer de substitution remettra l’esprit en marche.

Après le baccalauréat, les sciences politiques et les lettres en Sorbonne, le choix, enfin, de la psychologie. Cap à nouveau vers l’Espagne et Salamanque où avait enseigné le philosophe et romancier Miguel de Unamuno (1864-1936), qu’il adopte comme second maître.

La fiction comme vrai lieu du réel

Enfin apaisé, cessant de quêter une filiation aussi nocive que funeste, loin de son « assassin » et de celle dont l’existence, « tissée de mensonges et de parjures, inspirait l’épouvante », Michel del Castillo – hors de question de conserver son patronyme – peut élire la fiction comme vrai lieu du réel. La tragédie personnelle affleure ; pourtant l’incessante reprise du motif n’est pas ressassement mais approfondissement sans fard quand la mise à nu est de règle.

Comme Dostoïevski « scaphandrier de l’âme humaine », Michel del Castillo opte pour la plongée, s’expose. D’entrée par le calvaire d’un enfant confronté à la faim, à la violence, à la sexualité, Tanguy (1957), au succès aussi fulgurant qu’international. Suivent, avec la bénédiction de François Mauriac, La Guitare (1958), fable cruelle aux échos bunuéliens, Le Colleur d’affiches (1959), Le Manège espagnol (1960), Tara (1962), tous parus chez Julliard… Une production pléthorique dans une « sorte de brouillard » au dire de l’écrivain, qui s’expose soudain en publiant Les Ecrous de la haine (Julliard, 1970), radiographie de la moralité française qui a conduit à la mort de Gabrielle Russier, cette professeure de lettres qui s’était suicidée quelques mois auparavant, après sa condamnation pour une liaison amoureuse avec un de ses élèves.

Lire aussi | en 2003 Article réservé à nos abonnés Michel del Castillo en recherche d’humanité

Avec les années 1970, l’instinct de survie qui présidait jusque-là à l’écriture cède à une tentative de clarification littéraire, séquelle de graves problèmes de santé, d’une crise intérieure qui impose la figure récurrente de la mort. La noirceur et l’aridité s’accentuent avec Le Vent de la nuit (1972), salué par les jurys de lecteurs comme de professionnels, Le Silence des pierres (1975) prix Chateaubriand, Le Sortilège espagnol (1977), livre de transition avant la réflexion sur le pouvoir qui pointe la dictature franquiste et la perversité inquisitoriale, La Nuit du décret (Seuil, 1981), couronné du prix Renaudot.

L’exploration minutieuse de ces contrées de maléfices « où des cœurs intègres doivent expier “les crimes des pères” » est désormais la signature de Michel del Castillo comme le pointe Pierre Mertens lorsqu’il accueille l’écrivain à l’Académie royale de langue et de littérature française de Belgique où il succède à l’historien Georges Duby.

L’homme qui eut sans remède « mal à l’Espagne » comme avant lui Miguel de Unamuno n’en a pas moins signé un Dictionnaire amoureux de l’Espagne (Plon, 2005) qui souligne la tension jamais apaisée entre l’homme et le territoire de l’impossible filiation.

Michel del Castillo en quelques dates

2 août 1933 Naissance à Madrid

1957 Tanguy (Julliard)

1972 Le Vent de la nuit (Julliard), prix des Libraires

1981 La Nuit du décret (Seuil), prix Renaudot

1995 Mon frère l’Idiot (Fayard), prix de l’Ecrit intime

1997 Election à l’Académie royale de langue et de littérature française de Belgique

2005 Dictionnaire amoureux de l’Espagne (Plon), prix Méditerranée

17 décembre 2024 Mort à Sens (Yonne)

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