Promouvoir la bienveillance sans verser dans la mièvrerie est une équation complexe dans la littérature de jeunesse. Comment raconter des histoires pétries de nobles sentiments où la morale ne prime pas à la fin ? Cet équilibre délicat, André Jobin, dit « Job », en avait fait sa griffe.
Exemptée de discours puérils, sa série phare, Yakari, réalisée avec le dessinateur suisse Derib, n’en a pas moins sensibilisé plusieurs générations de lecteurs à des thématiques aussi essentielles que l’écologie, la protection animale ou la tolérance. D’un jeune Indien capable de converser avec les animaux, Job avait fait un complice, un égal, pour peu que l’on ait appris la lecture aux alentours de 6 ans. Le scénariste s’est éteint le 8 octobre à Nîmes, à l’âge de 96 ans.
Né le 25 octobre 1927 à Delémont, alors dans le canton de Berne (Suisse), André Jobin est venu à la bande dessinée par hasard, en marge de son premier métier, le journalisme. C’est pour remplir les pages d’un hebdomadaire qu’il avait créé en 1964 à destination des écoliers de Suisse romande, Le Crapaud à lunettes, qu’il s’était rapproché de Derib (Claude de Ribaupierre de son vrai nom). Ce dernier avait commencé sa carrière de dessinateur au studio créé à Bruxelles par Peyo (1928-1992), le créateur des Schtroumpfs, avant de revenir vivre dans le Valais.
Apologie de la nature sauvage
Ensemble, Job et Derib vont d’abord donner naissance à Pythagore, un hibou moqueur particulièrement doué en mathématiques, mais dont le péché mignon est d’abuser de boissons exotiques. Ses aventures seront regroupées, en 1969 et 1970, dans deux albums que Job autoéditera. En 1974, un troisième – publié conjointement par trois maisons d’édition suisse (24 heures), belge (Rossel) et française (Fleurus) – signera la fin de cette série, victime d’une concurrence interne implacable, incarnée par l’avènement de Yakari.
Le jeune Sioux de la tribu Iakota, accompagné de son mustang Petit Tonnerre, a été créé graphiquement en 1964 par Derib, alors que celui-ci travaillait sur l’encrage et les décors du Schtroumpfissime (9e histoire des Schtroumpfs). Féru de spiritisme indien et grand fan de la série western Jerry Spring, de Jijé, le dessinateur avait gardé dans ses cartons ce personnage d’enfant, déjà prénommé Yakari, portant sur le dos un arc et des flèches, dont il se séparera par la suite.
Job acceptera de s’en emparer à trois conditions : primo, que le jeune héros fasse l’apologie de la nature sauvage ; secundo, que les récits s’affranchissent des poncifs du western ; tertio, qu’un animal différent soit mis en valeur à chaque histoire (découlera, à ce titre, de la plume du scénariste tout un bestiaire de castors, de bisons blancs, d’ours, de lapins, de loups, de coyotes, de carcajous…). Placé sous l’escorte de son totem, un pygargue à tête blanche appelé Grand Aigle, qui lui a conféré le don de parler aux animaux, Yakari va vivre mille aventures sans coup de feu ni violence, au cœur d’un environnement vierge de toute menace humaine.
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