ARTE MERCREDI – 13 NOVEMBRE – 22 H 35 – DOCUMENTAIRE
Somme, sommet et pavé (près de 1 000 pages dans l’édition du Livre de poche de la nouvelle traduction effectuée par Claire de Oliveira pour les éditions Fayard, parue en 2016, sans compter les notes et une postface développée), Der Zauberberg (La Montagne magique), écrit entre 1912 et 1924, était pour Thomas Mann (1875-1955) le meilleur de ses ouvrages, au sein d’une œuvre récompensée, en 1929, par le Prix Nobel de littérature.
« Trait tiré sur le passé, autobiographie déguisée en somme philosophique, parodie du roman de formation, roman du temps, monstre composite à la fois faustien et wagnérien, danse macabre, démonstration, radioscopie d’une société en pleine déchéance physique et morale », ainsi que la décrit Claire de Oliveira dans la postface de sa nouvelle traduction, ce texte fleuve a pour cadre Davos, dans les Alpes suisses.
La localité, rappelle André Schäfer dans son attachant documentaire « La Montagne magique », Thomas Mann et son roman emblématique, est, au milieu du XIXe siècle, un simple village qui ne préfigure en rien la station de ski très huppée qu’est devenu Davos, aujourd’hui connue pour le Forum économique mondial qui y est organisé chaque année, depuis 1971.
Alexander Spengler (1827-1901), un médecin allemand installé dans la région, en 1853, découvre que les habitants n’y sont pas sujets à la phtisie. Douze ans plus tard, il soigne deux visiteurs par une cure au grand air. Le succès de leur guérison fait boule de neige, si l’on ose dire, et « va faire de Davos, à la veille de la première guerre mondiale, la capitale mondiale de la tuberculose », ainsi que le rappelle Peter Flury, président du Musée de la médecine de la station.
Cure et médecine de confort
A partir de 1890, les premiers sanatoriums sont construits, auxquels une nouvelle gare de chemin de fer permet d’accéder. « En dix ans, rappelle l’historien local Klaus Bergamin, lui-même ancien tuberculeux soigné sur place, vingt-six sanatoriums ont ouvert », dont de très luxueux établissements qui accueillent Anglais et Russes, la clientèle la plus riche.
On y prescrit bains de soleil et repos alité prolongé sur les loggias. Les repas − seul moment de vraie sociabilité − sont pris en commun autour de grandes tables. La chère, très reconstituante, est d’ailleurs décrite en détail par Thomas Mann. La clientèle, issue de l’élite intellectuelle et financière, est cosmopolite, polyglotte et excentrique.
En mai et juin 1912, l’écrivain est venu rendre visite à son épouse, Katia Mann (1883-1980), qui y séjournait depuis mars. Les médecins lui conseillent de faire lui-même une longue cure, qu’il refuse − les établissements soignent certes des cas graves, mais pratiquent aussi volontiers une médecine de confort fortement rémunératrice… Au cours de son séjour, il fait cependant des recherches dans la bibliothèque du sanatorium.
Avant de quitter les lieux, Mann charge son épouse d’espionner les pensionnaires et de relater dans ses missives les propos des uns et des autres, dont son inspiration se nourrira. Le récit fait par ailleurs référence de façon plus ou moins transparente à des personnages importants de la vie de l’auteur et de la vie culturelle de l’époque, parmi lesquels son frère Heinrich Mann (1871-1950).
Enfer d’altitude
Chez les « gens d’en haut », phalanstère coupé du monde, des malades stagnent pendant de longs mois, guérissent, quittent les lieux pour parfois y revenir après une rechute. D’autres y meurent, évacués par un ascenseur qu’on voit desservir les niveaux de ce que la traductrice Claire de Oliveira, qui participe notablement au documentaire, qualifie en quelque sorte d’enfer d’altitude (le chiffre biblique 7 est omniprésent dans le livre, est-il rappelé). Les corps sont ensuite descendus en bobsleigh… raconte le livre.
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Le film applique d’une certaine façon le principe de la série documentaire « Une maison, un artiste », de France 5 : il visite et commente les lieux, aujourd’hui pour la plupart transformés en hôtels de luxe, où l’ascétisme hygiénique était tempéré par les décorations volutées et voluptueuses dans le style Belle Epoque.
Assez habilement, André Schäfer − auteur de nombreux documentaires littéraires − filme les propos de spécialistes de Thomas Mann et de La Montagne magique − parfois en débat contradictoire −, en les mêlant d’images à la vacance poétiquement mortifère, qui rappellent l’ancien temps de la « cure en chaise longue » à laquelle les antibiotiques ont mis fin.
« La Montagne magique », Thomas Mann et son roman emblématique Documentaire d’André Schäfer (All., 2024, 53 min.) Disponible sur Arte.tv jusqu’au 12 janvier 2025.