« Vous, vous êtes journaliste : vous écrivez votre papier et ensuite vous vous en lavez les mains. Nous, on a la réglementation à faire respecter, mais en face des milliers d’emplois qui dépendent de la décision. Et là, je ne sais pas comment faire. » C’est ce que confiait un grand serviteur de l’Etat à Radio France et au Monde, à l’automne 2023, à propos de la situation des eaux minérales Nestlé : Perrier, Vittel, etc. La contamination des sources exploitées par la multinationale était connue des administrations et du gouvernement depuis 2021, mais la réponse apportée par ce dernier a été, sur pression politique venue du sommet de l’Etat, de permettre au minéralier de recourir à des moyens frauduleux pour poursuivre ses activités. Et ainsi continuer de vendre comme « eau minérale naturelle » une eau soumise à des traitements illicites car polluée par des bactéries fécales, des résidus de pesticides, des polluants éternels.
Le rapport de la commission d’enquête du Sénat, rendu le 19 mai, a révélé l’ampleur de la collusion entre Nestlé, des cabinets ministériels, l’agence régionale de santé (ARS) d’Occitanie et la préfecture du Gard. « J’ai eu au téléphone la présidente de Nestlé Waters pour valider ensemble le document », écrit le patron de l’ARS au préfet, le 4 décembre 2023. « Le document » : un rapport de son administration, expurgé de certaines informations à la demande de la firme suisse, apprend-on dans le rapport sénatorial. Au ministère délégué à la santé, le patron de l’ARS précise : « J’ai demandé à la présidente [de Nestlé Waters] ses EDL [éléments de langage] pour qu’on les partage et qu’on soit raccord pour la suite. »
Un haut fonctionnaire qui fait réécrire un rapport de son administration par l’industriel mis en cause, et soumet ses éléments de langage à ceux de la firme : c’est ce à quoi il faut s’attendre lorsque la dégradation de l’environnement finit par détruire de la valeur et de l’emploi. Pour éviter le drame social ou maintenir à l’exploitant son niveau de rentabilité, il n’y a d’autres choix que la dissimulation ou le travestissement des faits, en accord avec les pouvoirs économiques. La duplicité est alors le prix du business as usual.
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