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Après Malte et le Luxembourg, l’Allemagne est devenue, le 1er avril, le troisième pays de l’Union européenne à légaliser l’usage « récréatif » de cannabis. La possession de 25 grammes de cannabis séché est désormais autorisée dans les lieux publics, tout comme la culture à domicile. La distribution se fera, elle, à partir du 1er juillet seulement, via des « clubs cannabis », des associations chargées de la culture et de la vente aux adhérents.

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Comme dans tous les pays où la légalisation du cannabis est abordée, ses opposants craignent une augmentation de la consommation, en particulier chez les jeunes de moins de 25 ans pour qui cette drogue présente un risque accru pour le cerveau.

Seuls douze pays ont légalisé partiellement ou totalement le cannabis dans le monde, mais seule une poignée l’a fait depuis suffisamment longtemps pour permettre une analyse de ses effets sur la consommation. C’est le cas de l’Uruguay, qui a sauté le pas en 2013, mais aussi de quelques Etats américains comme le Colorado et l’Etat de Washington (2014) et enfin du Canada en 2018. Chacun de ces Etats a adopté une approche différente mais le constat est identique : les enquêtes montrent toutes une augmentation de la consommation de cannabis chez les adultes. Du côté des mineurs, pas de hausse (en dehors de l’Uruguay), mais il est difficile de mettre ce résultat sur le compte de la légalisation puisque cette tendance est mondiale.

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De possibles biais de déclaration dans les enquêtes

Cette hausse de la consommation chez les adultes peut d’abord s’expliquer par la difficulté de mesurer l’usage d’une drogue dans la société. Dans toutes les enquêtes de prévalence, la sous-déclaration est un problème méthodologique bien connu. Du fait de l’interdit légal et même si l’anonymat des répondants est garanti, les consommateurs interrogés peuvent craindre de reconnaître une pratique stigmatisée. En devenant légale, la consommation de cannabis peut être plus facilement assumée, ce qui peut se ressentir dans les enquêtes.

« On ne peut pas mesurer la consommation à biais constants, on peut donc imaginer qu’une partie de l’augmentation constatée dans les pays ayant légalisé le cannabis est due à la libération de la parole du fait que ce ne soit plus un comportement illicite », suggère Ivana Obradovic, directrice adjointe de l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT). Impossible, cependant, de savoir quelle part de l’augmentation pourrait être due à ces biais de déclaration.

Une plus grande disponibilité et une diversification de l’offre

Quoi qu’il en soit, les résultats d’une enquête de l’OFDT sur les effets de la légalisation en Amérique du Nord, publiés fin 2023, sont clairs : « La légalisation semble contribuer à une diffusion élargie du produit chez les adultes. »

Dans les Etats américains, les modèles de régulation plutôt « business friendly », avec en ligne de mire une augmentation des recettes fiscales, ont conduit à une démultiplication des produits et des manières de consommer : on y consomme plus souvent du cannabis et en plus grande quantité. Le cannabis séché reste au top des ventes mais l’apparition de nouveaux produits alimentaires (sodas, bonbons gélifiés, gâteaux) et de concentrés a attiré de nouveaux publics.

L’ouverture de nombreuses boutiques a également accru la visibilité de cette drogue dans l’espace public. Début 2021, on comptait ainsi 14 boutiques pour 100 000 habitants dans le Colorado. Sept ans après l’ouverture du marché, 3 000 marques étaient référencées dans cet Etat et dans l’Etat de Washington, chacune commercialisant en moyenne 40 à 60 produits à base de cannabis, selon les données analysées par Ivana Obradovic.

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« Un des effets de la légalisation, c’est que davantage de séniors se sont mis à consommer du cannabis, en allant vers des produits concentrés en CBD, vantés pour leurs effets relaxant ou antidouleurs », explique la chercheuse, également autrice du livre Le cannabis aux éditions La Découverte (coll. « Repères », 2022). Contrairement au THC (delta-9-tétrahydrocannabinol), davantage recherché par des classes d’âges plus jeunes, le CBD (cannabidiol) n’a pas d’effets psychotropes.

Une baisse des prix et un marché noir difficile à assécher

L’un des arguments portés par les défenseurs de la légalisation est toujours de combattre le marché illicite. La production légale doit alors s’aligner sur les prix de la rue. Une concurrence s’instaure entre les deux marchés, légal et illégal, ce qui engendre une baisse globale des prix du cannabis. « Si la baisse générale des prix sur les marchés légaux du cannabis peut contribuer à réduire le marché illicite, elle peut également entraîner une augmentation de la consommation », remarque l’étude de l’OFDT.

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Toujours progressif, le recul du marché noir peut être plus ou moins rapide selon les Etats et les modèles de régulations mis en place. En Uruguay, où la légalisation a été votée en 2013, la mise en place d’une régulation restrictive a été lente et l’approvisionnement légal en pharmacie ou via des « cannabis social clubs » reste compliqué. La capacité limitée de production du marché légal et la pénurie qui en découle ont pu détourner les consommateurs vers le marché noir. A tel point qu’en 2018, seul un usager de cannabis sur trois disait s’être fourni via les voies légales, selon un rapport de l’Observatoire uruguayen des drogues.

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Dans certains Etats américains, c’est au contraire la surproduction qui constitue l’un des principaux effets contre-productifs de la légalisation. La production légale dépasse parfois largement la demande, comme dans l’Oregon où l’offre couvrait dès 2019 sept années de demande locale, selon l’étude de l’OFDT. En raison de l’interdit fédéral et international, cette surproduction ne peut être exportée ou transportée dans un autre Etat et finit bien souvent par être détournée vers le marché noir, contribuant une nouvelle fois à la baisse des prix.

Reste que la légalisation a toujours l’avantage de ramener des usagers vers un marché légal jusqu’alors inexistant, avec des produits encadrés, des risques sanitaires connus et des campagnes de prévention ciblées. Les données de Santé Canada en ce sens sont plus rassurantes : elles montrent qu’en 2023, soit cinq ans après l’ouverture d’un marché légal, les trois quarts (73 %) des personnes ayant déclaré avoir consommé du cannabis au cours de l’année avaient acheté leur cannabis auprès d’une source légale.

Pour Ivana Obradovic, « la question est de savoir quel est l’objectif prioritaire sachant qu’il y en a toujours plusieurs : la santé ? La sécurité ? La profitabilité économique ? ». Les pays adoptant ces nouvelles législations doivent alors trouver l’équation qui permette de générer des recettes fiscales sans aggraver les problèmes de santé publique. « Aucun Etat ayant légalisé le cannabis n’a encore trouvé la formule optimale, pointe la directrice adjointe de l’OFDT. La recherche du point d’équilibre est toujours en cours. »

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