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NOUVELLES ÉCOUTES – À LA DEMANDE – PODCAST

C’était il y a un peu plus de dix ans, en février 2014. Le Tout-Paris de la gastronomie et du design ne bruisse que d’un projet, un projet fou, grandiose, hyperséduisant. Cédric Naudon, un parfait inconnu que l’on dit millionnaire, peut-être milliardaire, s’apprête à créer un nouveau quartier au cœur de Paris, dans des rues un peu endormies du 3e arrondissement, un quartier tout entier consacré à la gastronomie.

On parle d’une trentaine de restaurants et de commerces (une poissonnerie, une épicerie, une fromagerie, une boucherie…), mais aussi d’un marché couvert, d’un cinéma et de galeries d’art. Des lieux qui seront aménagés par les plus grands noms du design (les frères Campana, Jaime Hayon, Tom Dixon, Paola Navone…). Ce n’est pas tout : le quartier sera approvisionné en direct par les meilleurs producteurs français, des agriculteurs et des éleveurs responsables férus de permaculture, d’agroforesterie, de durabilité.

Une centaine de salariés

Forcément, à l’époque, tout le monde s’emballe : les chefs, les producteurs, les designers, les journalistes, les politiques et même les banquiers. Cédric Naudon embarque une centaine de salariés dans son entreprise. Parmi eux, Paul-Henry Bizon est chargé de la communication. Un soir qu’il feuillette Alcools, d’Apollinaire, l’écrivain tombe sur ces mots, « la jeune rue », qu’il trouve beaux et parfaitement appropriés au rêve de Naudon, à qui il suggère d’emprunter ce nom. C’est celui qu’adopte le chef d’entreprise, le 13 janvier 2014, au cours d’une conférence de presse où il annonce son « rêve humaniste : mieux nourrir les citadins, au juste prix ».

Chargé de mettre en récit cette aventure, Paul-Henry Bizon en révèle aujourd’hui les coulisses, dans La Jeune Rue, une série en cinq épisodes. De « l’idée géniale » à la « fin de l’utopie », l’écrivain raconte sa version de l’histoire, donne la parole aux anciens partenaires de Naudon et dévoile ses conversations avec l’homme d’affaires. Ces extraits, enregistrés à l’époque par l’écrivain pour les besoins de sa mission, sont saisissants : on entend le projet prendre forme et l’emballement gagner Cédric Naudon.

Il ne s’agit bientôt plus d’un ou deux restaurants, mais d’un nouveau quartier. Il ne s’agit plus seulement de s’approvisionner « responsable », mais de créer sa propre filière de circuit court. Il ne s’agit plus d’un quartier dans Paris, mais de deux. Et pourquoi pas acheter des fermes ? Créer une fondation ? Lancer sa propre société de recyclage des déchets ? Paul-Henry Bizon, qui est né dans un petit village, s’engage totalement dans ce qu’il voit comme la recréation, enfin, d’un « lien entre la campagne et la ville ».

Travail exaltant

L’idée est belle, le travail exaltant, car Naudon parvient à fédérer autour de lui des centaines de passionnés. Aucun n’a de doutes, puisque l’homme d’affaires compte le soutien des banques et de nombreux élus. Pourtant, rien n’avance. Les chantiers prennent du retard. Les ouvertures sont repoussées. Quelque chose ne fonctionne pas.

Au mois d’août 2014, « M le Magazine du Monde » publie une longue enquête sur Cédric Naudon. Son profil, plus proche du petit escroc que du millionnaire humaniste, est inquiétant. L’affaire sent l’énorme arnaque. A l’automne, un second article, paru dans « M », révèle qu’il n’y a jamais eu d’argent, qu’il n’y en aura pas ; les banques se sont retirées du projet. En mai 2021, Cédric Naudon sera condamné à trois ans de prison ferme pour escroquerie, tentative d’escroquerie, banqueroute et abus de biens sociaux.

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Parmi les centaines de personnes trompées, plusieurs reviennent, dans le podcast, sur ce crash, et s’interrogent sur ce qu’elles n’ont pas vu ou voulu voir. « Il a su s’entourer de personnes passionnées », se rappelle l’éleveuse et négociante Anne-Laure Jolivet. Le journaliste et critique gastronomique François-Régis Gaudry − qui consacra plusieurs pages enthousiastes au projet dans L’Express − se souvient d’un voyage organisé par Cédric Naudon pour ses équipes, auquel il avait été convié, dans le Gers, chez Philippe Martin, le ministre de l’environnement de l’époque. Naudon pouvait interrompre une conversation pour prendre au téléphone Bernard Arnault ou Alain Ducasse.

Son look de dandy bling-bling, Berluti aux pieds et foulard de soie, détonnait au milieu des champs, mais, après tout, les milliardaires sont extravagants. « Un gâchis immense », regrette le journaliste, tant ce projet avait tout d’un idéal.

La Jeune Rue, podcast écrit par Paul-Henry Bizon, réalisé par Aurore Mahieu et produit par Julien Neuville (Fr., 2024, 5 × 28-32 min). A retrouver sur le site du podcast « Nouvelles Ecoutes » et sur les plateformes d’écoute habituelles.

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