La doyenne des champions olympiques est morte, jeudi 2 janvier, à l’âge de 103 ans, à une semaine de son 104e anniversaire. Née le 9 janvier 1921 à Budapest, sous le nom de naissance de Klein, la Hongroise Agnes Keleti n’a pas seulement remporté dix médailles olympiques, dont cinq en or, en gymnastique, elle a aussi fait preuve d’une résilience impressionnante pour surmonter les horreurs du XXe siècle.
« Cela valait la peine de faire quelque chose de bien dans la vie vu l’attention que j’ai reçue. J’ai des frissons quand je vois tous les articles écrits sur moi », avait-elle confié à l’Agance France-Presse, à l’occasion de son centième anniversaire.
Agnes Keleti commence la gymnastique à quatre ans et s’illustre en devenant pour la première fois championne de Hongrie en 1937. Mais elle grandit dans le contexte particulier d’un antisémitisme virulent. La première loi antisémite européenne est adoptée en 1920 en Hongrie, instaurant un numerus clausus universitaire pour limiter l’accès aux études supérieures des juifs. Sa vocation pour la gymnastique s’en trouve alors renforcée.
Cependant, en 1940, alors que son pays intègre les forces armées de l’Axe, elle est exclue de l’équipe nationale et interdite de pratique sportive à cause de ses origines juives. Elle change son nom et prend le patronyme hongrois de Keleti.
Eblouissante aux JO de Melbourne
En mars 1944, alors que les nazis envahissent son pays, elle échappe à la Shoah en se procurant – en échange de tous ses biens – des « papiers chrétiens » au nom de Piroska Juhasz. Réfugiée à la campagne, où elle travaille comme domestique, la future championne refuse d’abandonner sa passion et s’entraîne en secret sur les rives du Danube.
Sa mère et sa sœur sont sauvées par le Juste Raoul Wallenberg, un diplomate suédois. Son père n’a pas cette chance : il meurt en déportation à Auschwitz. Au début de la seconde guerre mondiale, 850 000 juifs vivaient en Hongrie. A la fin de la guerre, ils n’en restent plus que 250 000.
A l’âge de 24 ans, et après la défaite des nazis, Agnes Keleti poursuit avec détermination son rêve olympique. Le sort s’acharne puisqu’une grave blessure à la cheville lors de son dernier entraînement l’empêche de participer aux Jeux de Londres, en 1948. Entre-temps, la jeune femme a suivi des études d’éducation physique. En 1949, elle réussit un quadruplé lors des Mondiaux universitaires organisés dans sa ville natale.
Lors des Jeux d’Helsinki, en 1952, la gymnaste hongroise a déjà plus de trente ans lorsqu’elle concrétise enfin ses ambitions olympiques. En Finlande, elle brille lors de l’épreuve au sol, sa grande spécialité, et remporte trois autres médailles : l’argent et le bronze par équipes (concours général et exercices d’ensemble avec agrès portatifs) et le bronze aux barres asymétriques en individuel.
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Quatre ans plus tard, lors des JO de Melbourne, elle éblouit le public australien, en remportant trois titres olympiques en individuel (au sol, à la poutre et aux barres asymétriques) et le titre olympique au sol par équipes avec l’équipe de Hongrie. A 34 ans, elle y ajoute deux autres médailles d’argent, au concours général individuel et au concours général par équipes.
Comme une quarantaine d’autres athlètes hongrois, Agnes Keleti profite de ces Jeux olympiques, qui se déroulent du 22 novembre au 8 décembre, quelques semaines après l’échec de la révolution de 1956 (23 octobre-10 novembre), pour ne pas retourner au pays. Elle reste quelques mois en Australie avant de s’installer en Israël, où elle est invitée, en 1957, à faire une démonstration de gymnastique lors des Maccabiades, des rencontres sportives juives organisées tous les quatre ans. Elle épouse en 1959 un professeur de sport hongrois, Robert Biro, avec qui elle a deux enfants. Keleti est considérée comme la fondatrice de la gymnastique en Israël.
Le Français Charles Coste, nouveau doyen
Après sa retraite sportive, Agnes Keleti travaille comme professeur d’éducation physique et entraîne l’équipe nationale pendant vingt-deux ans. Elle ne retourne à Budapest qu’en 1983, à l’occasion des championnats du monde de gymnastique. En 2000, elle est introduite au « Hall of Fame » de la gymnastique. Dans le discours prononcé à cette occasion, elle qualifie son sport d’ars poetica (« art poétique »). Elle retourne définitivement à Budapest en 2015.
A la faveur des Jeux olympiques et paralympiques de Paris de 2024, la France avait souhaité « rendre hommage à ses éminents mérites » et lui a décerné, en septembre, la médaille d’or de la jeunesse, des sports et de l’engagement associatif.
« Merci pour tout ! » a écrit, sur Facebook, le premier ministre hongrois, Viktor Orban, en rendant hommage à la championne. Son fils, Rafael Biro Keleti, a, quant à lui, déclaré qu’Agnes Keleti avait fait preuve, jusqu’à la fin de sa vie, d’une « incroyable énergie ».
Selon le premier quotidien sportif du pays, Nemzeti Sport, c’est désormais le Français Charles Coste (100 ans, né le 8 février 1924), médaillé d’or de la poursuite par équipes en cyclisme sur piste aux Jeux de Londres, en 1948, et porteur de la flamme lors de la cérémonie d’ouverture de Paris 2024, qui succède à Agnes Keleti comme doyen des champions olympiques.