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Histoires Web mardi, octobre 8
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Dans le petit salon de sa vieille maison de Jérusalem, Nuha Attieh débarrasse les affaires qui traînent sur la table basse, fait asseoir ses quatre petits-enfants bien droit dans le canapé et part se changer en s’excusant. Le jeudi, c’est le jour des sessions psy en famille avec les travailleuses sociales de l’ONG Médecins du monde Suisse.

Les voix de Selma, 8 ans, et de son frère Jamal, 7 ans, montent dans les aigus. « Ils étaient quatre », dit l’un. « Non, cinq ! Ils sont entrés par là et là », corrige l’autre. Une dizaine de jours après l’attaque du Hamas, le 7 octobre 2023, les forces de l’ordre israéliennes ont surgi dans le salon familial. Nuha n’a même pas eu le temps de revêtir son voile. Quand elle a demandé aux Israéliens ce qu’ils cherchaient, ils lui ont intimé l’ordre de se taire. « L’un d’eux était armé, il voulait tirer », précise Selma, sans qu’il soit clair qu’elle parle de cet incident ou d’une incursion précédente. Sa mine enfantine tranche avec la violence des situations qu’elle décrit.

« Tous me voient forte, mais je ne le suis pas »

Nuha Attieh vit au bout d’une petite rue de Cheikh Jarrah, à Jérusalem-Est, la partie palestinienne de la ville. Depuis 2009, date de la première expulsion d’une famille du quartier, à l’initiative de colons israéliens, l’infirmière à la retraite, devenue veuve à 36 ans, vit dans la peur constante de perdre sa maison. Elle fait en sorte qu’il y ait toujours quelqu’un dans les murs. Lors des fêtes juives, « je dors tout habillée, avec mon voile, sur le canapé », au cas où il y aurait une intrusion, dit-elle.

Nuha Attieh et l’un de ses petits-enfants, chez elle, à Cheikh Jarrah, à Jérusalem-Est, le 6 juin 2024.

En mai 2021, le quartier de Cheikh Jarrah a été au cœur d’un mouvement de protestation contre l’avancée des colons, qui a attiré l’attention des médias internationaux. La répression de la police israélienne, brutale, a été l’un des facteurs déclencheurs de la guerre de onze jours qui a suivi à Gaza. Le fils de Nuha a été interpellé deux mois plus tard par la police ; elle n’a pu connaître son lieu d’incarcération qu’au bout de deux mois. Il a été libéré en mai 2022. « Nous sommes en vie, mais nous n’avons pas de vie, résume-t-elle, les yeux rougissants. Parfois, je vais m’isoler pour pleurer. Tous me voient forte, mais je ne le suis pas. »

Lire aussi le reportage (en 2021)| Article réservé à nos abonnés « Ils veulent aller vite, nous expulser, détruire les maisons » : dans la Ville sainte, la bataille pour Jérusalem-Est

Ces derniers mois, la vue des rangées de tentes de déplacés, à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, a réveillé une autre terreur chez Nuha. En 1948, lors de la création d’Israël, sa famille a été expulsée d’un village de l’ouest de Jérusalem, où se trouve aujourd’hui la ville israélienne de Bet Shemesh. Un exode forcé, vécu par 700 000 autres Palestiniens, qui est désigné, dans la mémoire nationale, comme la « catastrophe » – la Nakba, en arabe. « A 60 ans passés, je suis une réfugiée dans mon propre pays, observe Nuha. Cela se reproduit avec Gaza aujourd’hui. » Elle essuie sa joue : « Mon cœur en est brisé. »

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