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Histoires Web jeudi, octobre 3
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Ce moment était attendu de longue date par la partie malgache, car il devrait constituer la dernière étape conduisant à la restitution de trois crânes sakalava, dont celui présumé du roi Toera, décapités en 1897 lors d’une campagne militaire menée dans l’ouest du pays, un an après que la Grande Ile devienne colonie française sous l’autorité du général Gallieni.

Jeudi 3 octobre, la ministre de la culture, Rachida Dati, et son homologue, Volamiranty Donna Mara, ont installé le comité scientifique conjoint qui devra déterminer les conditions dans lesquelles ces restes humains, aujourd’hui conservés au Muséum d’histoire naturelle à Paris, pourront regagner leur terre natale. Le comité est composé d’historiens, de spécialistes de la conservation du patrimoine et de diplomates. Côté malgache s’y ajoutent des représentants des descendants du roi Toera. A l’issue de ce travail, le comité devra rendre un avis. Aucune date n’a pour l’instant été fixée.

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Pour Paris, cette réunion s’inscrit dans la suite de la loi adoptée en décembre 2023 qui doit faciliter la restitution de restes humains collectés dans des conditions indignes en dérogeant à la règle d’inaliénabilité des collections publiques. Depuis sa première élection en 2017, Emmanuel Macron a fait des restitutions « l’enjeu d’un apaisement des mémoires entre la France et ses partenaires africains » , a rappelé Rachida Dati.

Après le transfert de la couronne du dais de la dernière reine de Madagascar, Ranavalona III, en novembre 2020 – qui pour être définitif devra encore faire l’objet d’une loi –, le retour des crânes sakalava constituerait le deuxième geste réparateur à l’égard de l’ancienne colonie, où le souvenir des blessures laissées par certains épisodes de la colonisation demeure vif.

Un processus d’identification indispensable

L’attaque du village royal d’Ambiky – siège du pouvoir sakalava – dans la nuit du 29 au 30 août 1897 en fait partie. Le nombre de victimes ayant péri dans l’assaut des troupes coloniales chargées de pacifier cette région du Menabe varie, selon les sources, entre 100 et 5 000 personnes. Parmi elles, se trouvait le roi Toera dont la tête, ainsi que celle de deux de ses soldats, fut coupée en guise de trophée.

« Ambiky a longtemps été associé à la décapitation de la royauté du Menabe, entraînant un profond traumatisme chez les Sakalava », écrivait l’historienne Klara Boyer-Rossol, dans une tribune publiée en décembre 2016 dans Le Monde. Elle y interpellait le Muséum d’histoire naturelle sur la demande de prélèvement d’ADN sur trois crânes sakalava présents dans les collections. Formulée deux ans auparavant par les descendants de la famille royale, cette requête était alors restée sans réponse.

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L’historienne, qui fait aujourd’hui partie des membres français du comité, a joué un rôle déterminant dans la décision de l’institution d’accepter le processus d’identification indispensable à une possible restitution. Son travail, mené en étroite complicité avec le prince Magloire et avec Joe Kamamy, également descendant du roi Toera, a permis de retrouver la trace des dignitaires sakalava dans les collections anthropologiques du musée à partir des écrits de Guillaume Grandidier.

« Une blessure qui ne s’est pas refermée »

Les notes prises en 1898 par ce scientifique, alors en mission dans le Menabe, montrent qu’il est l’expéditeur d’au moins « deux têtes d’illustres Sakalava » à la demande de son père, qui n’est autre que le célèbre naturaliste Alfred Grandidier. Une découverte qui ne pouvait que conforter de lourdes présomptions.

Afin de les comparer, des prélèvements d’ADN ont été réalisés en 2018 sur les crânes et sur des échantillons d’ossements du squelette du roi Toera confiés au Muséum par les descendants de la famille royale. La mauvaise qualité du matériel prélevé n’a cependant pas permis d’aboutir à une identification certaine.

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Jeudi, à Paris, la ministre de la culture malgache a insisté sur l’importance que revêt cette restitution pour sa population. Sur une dynastie qui compte douze souverains, Toera est le seul pour lequel la relique composée des dents, de la mâchoire et du crâne n’a pu être rassemblée. « Depuis 127 ans, c’est une blessure qui ne s’est pas refermée », témoigne Joe Kamamy, qui ne doute pas que cette épreuve prendra bientôt fin. Le prince Magloire – décédé en mai – avait adressé la première demande de restitution à la France en 2003.

L’aboutissement de cette démarche constituerait la première mise en application de la loi de décembre 2023 sur la restitution de restes humains et couronnerait les efforts du président malgache Andry Rajoelina qui s’est investi sur ce chantier mémoriel. A défaut d’obtenir gain de cause sur le dossier épineux des îles Eparses, dont Madagascar réclame la souveraineté à la France depuis de nombreuses années.

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