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Histoires Web mercredi, décembre 18
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Histoire d’une notion. Lorsque s’ouvre le procès des viols de Mazan, les regards effarés se tournent vers Dominique Pelicot, accusé d’avoir drogué, violé et fait violer sa femme par plus d’une cinquantaine d’hommes pendant dix ans. Dans les portraits médiatiques du septuagénaire et de ses coaccusés, une formule revient sans cesse : les « bons pères de famille ». Le magazine Elle décrit ainsi « le double visage de Dominique Pelicot : de bon père de famille à prédateur sexuel », Marianne évoque les hommes « presque tous ordinaires » de Mazan, « bons pères de famille, célibataires », et Libération revient sur ces « bons pères de famille, comme on dit, de tous âges et de tous milieux sociaux ».

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Utilisée par l’autrice féministe Rose Lamy dans son essai En bons pères de famille (Lattès, 2023), cette expression désigne aujourd’hui les tenants d’un discours patriarcal, proche du concept de boys club théorisé par l’autrice Martine Delvaux. L’expression est ainsi devenue courante pour penser les violences intrafamiliales et l’écart saisissant entre le visage social d’un individu et ses agissements dans la sphère intime. Comment expliquer les contours aujourd’hui très critiques d’une expression qui renvoyait pourtant, jadis, au sérieux et à la respectabilité ?

Pour retracer le parcours du « bon père de famille », il faut remonter à l’Antiquité romaine. Le paterfamilias latin désigne d’abord le père de famille, qui est aussi le maître de maison. Sous la loi des Douze Tables, considérée comme le premier corpus écrit du droit romain, ce statut lui confère une puissance quasi absolue sur la personne et les biens des membres de sa maisonnée – la patria potestas (« puissance paternelle »). Ainsi, la jus occidiendi permet-elle au paterfamilias de tuer son épouse et l’amant de celle-ci en cas d’adultère – jusqu’en 1975, cette situation a été considérée, en France, comme une circonstance atténuante lors d’un féminicide.

Par extension, le paterfamilias renvoie ensuite au « bon bourgeois, premier citoyen venu », selon le dictionnaire Gaffiot. Un glissement lourd de sens, puisque le paterfamilias en vient à incarner la norme et, bientôt, à servir de mètre étalon pour juger de la bonne conduite des individus dans une société, selon des valeurs de prudence et de diligence.

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