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Histoires Web mercredi, juin 26
Bulletin

Eric Ruf, 55 ans, administrateur de la Comédie-Française, porte un héritage familial lié à l’extrême droite. Le dramaturge et metteur en scène portugais Tiago Rodrigues, 47 ans, directeur du Festival d’Avignon, a reçu celui de la « révolution des œillets ». Alors que le second montera en juillet Hécube, pas Hécube, d’après Euripide, avec la troupe du Français, ils lient tous deux la crise démocratique actuelle à celle qui touche le spectacle vivant, comme symptôme d’un effondrement des valeurs du service public.

Quel est votre sentiment que les résultats des élections européennes du 9 juin et à l’éventuelle arrivée au pouvoir du Rassemblement national (RN) en juillet ?

Eric Ruf : Moi, je ne suis pas l’enfant d’une révolution, mais celui d’une neutralité un peu suspecte, qu’elle soit suisse ou norvégienne. Je suis le fils d’un homme qui votait pour le Front national, et j’ai aimé mon père, malgré tout, parce que c’était mon père. J’ai donc une réflexion et un point de vue là-dessus depuis longtemps : à cause de cette histoire familiale, je ne peux pas me contenter d’estimer qu’un certain pourcentage de la population est décérébré. Je vois à quel point les paradoxes peuvent être importants. Mon père, qui était médecin, nous a fait faire des humanités, du grec et du latin, et lisait National Hebdo. Dès l’adolescence, j’ai eu un sentiment d’incompréhension qu’il puisse passer de l’un à l’autre sans que cela lui saute au visage. J’ai l’impression d’un cycle, d’un éternel retour qui ne cesse de m’inquiéter. Et j’ai le sentiment que cela fait longtemps, déjà, que l’on n’arrive pas à se saisir de la complexité du monde.

Tiago Rodrigues : Je pense qu’une des questions fondamentales, c’est celle des valeurs, et c’est très lié à la question culturelle. En France, et je ne risque pas le moindre chauvinisme à le dire en tant que Portugais qui vient d’arriver, il y a quand même quatre-vingts ans de démocratisation de l’accès à la culture, de rapport à l’éducation nationale, à la jeunesse, au champ social qui sont exemplaires, et tout cela dans un contexte de diversité culturelle, d’ouverture au monde. Ce qui a produit cette aventure qui n’est pas du tout terminée, même si elle est en péril, c’était des valeurs : une idée, une croyance, inquantifiable certes, que la culture faisait cohésion sociale, favorisait la promotion de la différence, du débat, enrichissait la démocratie avec un discours complexe. Or, les partis politiques de tous bords ont trahi ces valeurs-là, et leur défense. Il y a un éloignement du discours politique public de la valeur de la culture, de son importance. On est entrés dans une ère de débat stratégique électoraliste absolument pragmatique, voire cynique, qui abandonne les valeurs et le débat d’idées.

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