De passage à Paris, le cinéaste, qui vit entre l’Allemagne et la France et dont le dernier film, Limonov, la ballade, consacré à l’écrivain et militant russe, mort en 2020, sort en salle mercredi 4 décembre, évoque la genèse de son long-métrage, percuté par l’intervention russe en Ukraine, mais surtout le sort de son ancienne élève, la metteuse en scène Evguénia Berkovitch, détenue en prison comme d’autres opposants au Kremlin et antiguerre.
Si Edouard Limonov était vivant aujourd’hui, quelle aurait été, selon vous, son attitude face au Kremlin et au conflit en Ukraine ?
Nul ne le sait. D’un côté, on peut dire que l’« opération militaire spéciale » du Kremlin en Ukraine est, dans un certain sens, la réalisation des idées de l’impérialiste nationaliste qu’était Limonov : il parlait de guerre contre l’Occident et martelait que celui-ci voulait détruire la Russie – autant d’éléments du discours actuel du président russe, Vladimir Poutine. De l’autre côté, on estime habituellement que Limonov était un perpétuel dissident : par essence, il s’opposait aux puissants de ce monde et, par voie de conséquence, il serait contre le régime autoritaire du Kremlin.
Mais, même s’il était encore de ce monde, il est en réalité impossible de faire des suppositions quant à la position que Limonov aurait adoptée à l’égard de la guerre en Ukraine et de l’isolement dans lequel se trouve aujourd’hui la Russie. Avant tout, Limonov est une figure du ressentiment, ce qui induit donc présent déceptif et passé idéalisé. Il en veut au monde entier pour ses propres échecs, pour sa pauvreté, pour sa si modeste condition ; il accuse tout le monde de manigancer contre la Russie. Or, le ressentiment, ainsi que l’histoire nous le rappelle, conduit à la guerre.
Limonov a aussi été en prison. Aujourd’hui, des artistes, comme votre ancienne élève, la metteuse en scène Evguénia Berkovitch, sont en détention. Y a-t-il un parallèle historique ?
Je ne les mettrais absolument pas sur le même plan. L’arrestation et la condamnation de Jenia [le cinéaste utilise le diminutif utilisé en nom de scène par Evguénia Berkovitch] témoignent de la cruelle répression criminelle du pouvoir en Russie qui s’abat sur ceux qui ne lui plaisent pas. Jenia, qui a deux enfants à Moscou, est en prison pour ses poèmes et son activité théâtrale, ce qui est une tragédie. De sa cellule, elle continue de travailler et d’écrire, surtout des poèmes pour ses filles. Mais, effectivement, Limonov et Evguénia Berkovitch ont tous les deux été condamnés pour extrémisme : lui pour ses idées politiques radicales, elle pour ses poèmes antiguerre écrits à des fins humanistes et non politiques. Voyez vous-même la différence !
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