Meilleures Actions
Histoires Web mercredi, octobre 9
Bulletin

LETTRE DE VIENNE

Dès le début de la représentation, le ton est donné. « Comme il est interdit de fumer sur scène, la mise en scène a dû être adaptée. Mais heureusement la représentation d’un féminicide reste autorisée », prévient avec ironie la voix de la metteuse en scène d’opéra néerlandaise Lotte de Beer, avant le lever de rideau de Carmen, jeudi 3 octobre, au Volksoper de Vienne. Le public de la capitale autrichienne rit jaune.

Dans la première scène de cette version du célèbre opéra de Georges Bizet (1838-1875), la mezzo-soprano française Katia Ledoux, qui incarne le rôle-titre, refuse de se conformer à son travail à la chaîne à la manufacture de tabac sévillane. Elle s’échappe en permanence du cadre, jusqu’à l’apothéose de la scène finale de son assassinat par Don José, son amant délaissé. Dans cette version, le chœur est regroupé dans des fausses loges reconstituées sur scène et jubile à la mort de Carmen, renvoyant au vrai public son avidité supposée pour la mort de cette femme libre.

« L’idée est de montrer cette fascination du monde de l’opéra à voir les femmes mourir. C’est bête à quel point les féminicides sont totalement normalisés dans l’opéra », explique Katia Ledoux, en recevant Le Monde quelques jours après la première. La représentation a été diversement appréciée par une presse autrichienne qui, en substance, reproche à Lotte de Beer une mise en scène trop « woke ». « Moi-même, je me vois beaucoup dans ce public dangereux », prévient pourtant la chanteuse, en s’étonnant que certains aient pu prendre cette mise en abîme comme « une insulte alors que c’est juste bizarre cette fascination pour les héroïnes d’opéra qui meurent ».

Lire aussi | Article réservé à nos abonnés « La Esmeralda », de Louise Bertin, une Notre-Dame du féminicide

A 34 ans, Katia Ledoux est devenue une sensation viennoise, autant pour son talent très largement reconnu que pour ses engagements féministes qui rompent avec une scène d’opéra locale restée assez conservatrice. « Le public viennois est extrêmement passionné et prend le temps de nous écrire des lettres, je crois qu’il n’y a qu’ici que ça se passe ainsi », sourit cette femme à la présence imposante et au rire profondément communicateur.

Parcours atypique

Après avoir rejoint la troupe du Volksoper de Vienne en 2022, elle se fait remarquer une première fois en février 2023 pour avoir accepté à la dernière minute de chanter, en plus de son rôle de Vénus, le rôle d’Orphée dans l’opéra de Jacques Offenbach (1819-1880), Orphée aux Enfers, en remplacement d’un collègue tombé malade. Une performance rare. Pour son premier rôle de prima donna, elle incarne Carmen dans un large costume noir qui s’éloigne délibérément des tenues affriolantes souvent affublées à l’héroïne de Bizet.

Il vous reste 57.96% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

Share.
© 2024 Mahalsa France. Tous droits réservés.