Médecin-psychiatre à l’hôpital Saint-Antoine (AP-HP, Paris), enseignant à Sorbonne Université, Jean-Victor Blanc participe dimanche 23 mars à une des « grandes assemblées » du Monde au festival Nos futurs, autour du thème « Comment éduquer nos parents ? », avec Camille Masclet, Salomé Saqué et Rémi Soulé. Cofondateur du festival Pop and Psy, Jean-Victor Blanc se passionne pour le lien entre culture populaire et santé mentale. Il participera également à un débat sur « Britney Spears : une icône pop et psy ».
Observez-vous, sur les sujets de santé mentale, une rupture générationnelle ?
Oui. Elle est même très nette. Les jeunes sont à la fois plus concernés mais surtout beaucoup plus informés que leurs parents. C’est une génération qui se retrouve en position de devoir expliquer à ses parents ce qu’elle traverse et qui, ce faisant, amène aussi ses aînés à interroger leur propre santé. Pour le dire de façon caricaturale : quand un jeune décrit ce qu’est la dépression à ses parents, il arrive que ces derniers questionnent leur propre santé mentale et, parfois, découvrent des problèmes qu’ils ne formulaient pas jusque-là.
De quand date cette rupture ?
Elle s’est faite de manière progressive, je dirais à partir des années 2010. Jusque-là, la vision de la maladie mentale oscillait entre « romantisation » et dépréciation. Une destinée à la Kurt Cobain ou à la Amy Winehouse, tous deux morts à 27 ans, pouvait susciter les deux réactions. Romantisation de personnalités qui étaient allées au bout de leurs rêves, qui avaient conservé une forme de pureté ; mais aussi condescendance voire moquerie – l’idée qu’elles auraient dû « se prendre en main », « se secouer ». Puis trois phénomènes convergent. La prise de parole publique de personnalités qui parlent ouvertement de leur maladie – l’exemple le plus emblématique étant sans doute celui de Selena Gomez mais il y eut aussi, sur le trouble bipolaire, Mariah Carey ou Gérard Garouste. Deuxième phénomène : un certain nombre de films ou de séries comme Happiness Therapy ou Homeland qui popularisent le sujet. Le tout étant couronné, bien sûr, par l’arrivée des réseaux sociaux, pour le meilleur et pour le pire.
Pourquoi ces évolutions culturelles ont-elles eu un tel écho ?
Tout simplement parce que, dans la plupart des cas, les troubles psychiques démarrent à l’adolescence. Les jeunes se sont donc reconnus et identifiés. Non sans risque, d’ailleurs : certains sont tentés de se construire une identité sociale autour de leurs troubles.
On évoque aussi souvent la rupture du Covid-19. Quel effet a eu cette période sur les relations parents-enfants ?
On a raison de parler de rupture : sur ce sujet comme sur tant d’autres, cette séquence a amplifié certains phénomènes, notamment quand parents et enfants ont été confinés dans le même logement. Cela a multiplié les occasions de frictions dans certains cas, dans d’autres cela a permis aux parents d’observer mieux leurs enfants et de déceler des problèmes qu’ils ne voyaient pas… Mais les signes annonciateurs d’une dégradation de la santé mentale des jeunes étaient déjà là : l’augmentation des troubles ne date pas du Covid, même si elle a été amplifiée depuis. Ce qui a aussi changé, c’est qu’on en parle beaucoup plus.

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Autour de quels troubles la conversation s’est-elle ouverte entre les jeunes et leurs parents ?
Déjà, précisément, autour de la notion de troubles. Parler de troubles du spectre autistique [TSA], de troubles du comportement alimentaire [TCA] ou de troubles du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité [TDAH], ce n’est pas parler d’autisme, d’anorexie-boulimie ou d’instabilité mentale. Cette notion introduit l’idée de spectre, ou de continuum. Il n’y a pas une maladie, il y a l’expression, à des degrés divers, d’une maladie. Cela a aussi amené des malentendus. Les TSA, par exemple, ont pris pas mal de lumière, notamment autour des formes sans déficit intellectuel ni retard de langage (qu’on appelait autrefois syndrome d’Asperger). Cela a pu donner l’image d’un trouble avec handicap léger, à tort puisque ces formes sont très minoritaires (la majorité des personnes atteintes de TSA a de grandes difficultés à acquérir le langage). Les TDAH ont également été très médiatisés ce qui, au passage, a pu créer des difficultés dans l’accès aux soins.
Sur tous ces sujets, les jeunes ont une maturité qui fait défaut à leurs parents. Pour autant, il faut entendre les pédopsychiatres quand ils disent que les parents peuvent aussi projeter trop d’angoisses sur les jeunes, notamment sur les ados. Aux parents de faire l’effort de s’éduquer sur ces sujets, de s’informer sur la santé mentale. On rappelle que la majorité des jeunes, bien heureusement, n’a pas de trouble psychique.
Eduquer ses parents, finalement, c’est possible ?
Les éduquer, c’est une mission peut-être ambitieuse. En revanche, les faire changer, bien sûr. Pour la simple raison que, le plus souvent, ils aiment leurs enfants. Et c’est un puissant moteur pour faire évoluer les choses et lutter contre des troubles qui restent mal connus et très stigmatisés dans notre société.
La « grande assemblée » consacrée au thème « Comment éduquer nos parents ? » a lieu dimanche 23 mars de 14h30 à 16h à l’auditorium des Champs libres (10, cours des Alliés, 35000 Rennes). Entrée libre. L’intégralité du (riche) programme du festival « Nos futurs » est accessible en suivant ce lien.
Cet article fait partie d’un dossier réalisé dans le cadre d’un partenariat avec les Champs libres et Rennes Métropole.