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Histoires Web lundi, septembre 16
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Après une matinée de pluie à Boulogne, en banlieue parisienne, le soleil a gagné la partie. Sa lumière douce enveloppe le salon de l’appartement d’Adrien Borne. Pour parler des hommes qui ont subi des agressions sexuelles, l’écrivain de 43 ans a pris tout son après-midi. Il est assis dans un petit fauteuil. Ses mots sont pudiques et sans concession. Il a publié en 2022 La Vie qui commence (JC Lattès), roman qui puise dans un traumatisme personnel vécu l’été de ses 13 ans. Dans ce livre, l’ancien journaliste devenu écrivain (Mémoire de soie, 2020 et L’Île du là-haut, 2024, JC Lattès) a tressé un récit autour de la mémoire peu à peu retrouvée de Gabriel, agressé sexuellement en colonie de vacances vingt ans auparavant, à l’aube de l’adolescence, par « le mono au jogging rouge ».

Malgré des critiques littéraires élogieuses, Adrien Borne n’a alors été invité sur aucun plateau télé pour s’exprimer sur le thème abordé. Au­jourd’hui, il reconnaît sans esquive qu’il a nourri « un espoir fou, inavoué, immodeste : que ce livre permette de se pencher un peu sur les garçons. Eh bien… non ». Face au désintérêt médiatique, il a songé « qu’il fallait accepter que les violences sexuelles sur les garçons soient une zone désertique ».

Cinq ans après l’explosion du mouvement #metoo, en 2017, les témoignages des femmes victimes continuaient de déferler dans l’espace public et, estime-t-il, « c’était aussi très bien comme ça, l’ampleur est telle ». Ce n’est qu’en février 2024, quand le comédien français Aurélien Wiik a lancé le hashtag #metoogarçons, qu’il a été contacté pour participer à des émissions à la recherche d’hommes prêts à témoigner.

Une existence marquée au fer du trauma

En matière d’abus sexuels, les chiffres disponibles montrent des différences très genrées : 3,9 % des hommes sont confrontés à des ­violences sexuelles au cours de leur existence, selon l’enquête « Violences et rapports de genre » de l’Institut national d’études démographiques (INED), menée en 2015. Ce taux grimpe à 14,5 % pour les femmes. Ces dernières sont violentées tout au long de leur vie alors que la plupart des hommes, plus des deux tiers, le sont avant leurs 18 ans, ou au début de l’âge adulte. Ce fossé statistique suffit-il à expliquer que les prises de parole des hommes soient de facto moins nombreuses ? Comparées à celles des femmes, elles semblent à la fois plus discrètes individuellement et moins entendues collectivement, comme si la société les recevait en sourdine.

L’écrivain Adrien Borne, à Paris, le 9 juillet 2024.

Quand les dénon­ciations des femmes ressemblent à un raz de marée sociétal, le #metoo des hommes se manifeste par petites vagues. Ceux qui ont osé lever le voile sur leur vie abîmée et que nous avons rencontrés décrivent pourtant les mêmes tourments. En plus d’être, comme les femmes, très majoritairement agressés par des hommes adultes – à 90 %, selon les données de l’INED –, eux aussi décrivent une existence marquée au fer du trauma. Mais dans leurs récits se glissent des nuances et des silences, emblématiques des stéréotypes de genre. Autant de particularités qui, mises bout à bout, permettent de comprendre le décalage dans le temps de leur émergence sur la place publique.

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