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Histoires Web samedi, décembre 6
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Du haut de sa roche, Watta Al-Joumaa a longtemps tenu à ses petites habitudes. Dès l’aube, cette brodeuse escaladait les collines décharnées de Houaïr Al-Housse, village retiré des plateaux alépins, avant de planter sa chaise près de son troupeau. De là, le silence enrobait le petit matin. Le canevas n’était jamais préparé : l’inspiration venait ainsi, l’horizon comme seule perspective, l’aiguille plantée dans le tissu pour dessiner les contours du paysage. Jusqu’à cette soirée d’automne 2013, lorsque les obus d’artillerie de Bachar Al-Assad (président de 2000 à 2024) se sont abattus sur les fragiles toits du village. Commencée en 2011, la révolution s’est muée en conflit armé. Tout le monde a dû prendre la fuite tous azimuts à travers la montagne. Depuis, les broderies de Watta Al-Joumaa, 61 ans, se sont obscurcies. D’aucuns diraient que l’art est le reflet de l’âme. Ici, la guerre a tout emporté sur son passage, jusqu’aux couleurs les plus vives.

Douze ans plus tard, l’horizon de la brodeuse se limite aux quatre murs d’un salon aux couleurs défraîchies. C’en est fini de la paix des hauteurs, du repos de l’alpage. Al-Safira, où elle a trouvé refuge, plus au nord, est vrombissante et polluée. « L’inspiration vient désormais de nos rêves », murmure Jamila Al-Joumaa, sa sœur, les paupières mi-closes. La dernière fois qu’elles ont cousu, les deux sœurs ont essayé d’imaginer leur vieux village. Quelques rayons de soleil, du linge suspendu à un fil et une rangée de maisons aux toits éventrés par les bombes. D’autres dessins racontent les flaques de sang, les champs en feu et les avions de chasse qui transpercent le ciel. Cela fait presque un an que la dictature d’Al-Assad est tombée, et le petit groupe de brodeuses est toujours claquemuré dans le passé.

Il faut dire que la broderie, travail d’ornementation de tissu à l’aide de fil, effectué à la main ou à la machine, a longtemps façonné la gloire de ces quelques femmes et, bien au-delà, celle de la Syrie. Symbole de la diversité légendaire du pays, fierté des années 1960, les tissus étaient envoyés jusqu’aux salons des têtes couronnées – les reines d’Espagne et de Jordanie, l’épouse du président turc, Recep Tayyip Erdogan, ou Asma Al-Assad, la femme du tyran, les ont portés. Le public des défilés les plus luxueux s’arrachait les créations du groupe de brodeuses, après que des photos de leurs robes ont figuré dans les pages de Wallpaper, magazine britannique de référence en matière de design.

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