Comment dépoussiérer la haute couture, qui semble parfois tourner en rond, avec ses éternelles robes de princesse à paillettes ? Certaines saisons laissent sans réponse, mais pas ce printemps-été 2025, déroulé à Paris du 27 au 30 janvier. Car le défilé qui semblait le plus prometteur, celui de Valentino, s’est révélé à la hauteur des espérances placées en son nouveau designer, Alessandro Michele.
Mercredi 29 janvier, au Palais Brongniart, l’Italien a recréé un petit théâtre. Dans la pénombre, un premier mannequin émerge sur scène, et le ton est donné : elle porte une hypnotisante robe bleu, vert et rouge, qui frappe d’abord par son jupon démesurément large. Celui-ci se déploie à 45 degrés à partir de la taille, dans un motif Arlequin où chaque losange est rempli de bandes de tissus plissés et assemblés. Le buste est un entrelacs de mousseline de soie, les manches bouffantes ondulent au rythme des pas. Cette silhouette évoque la commedia dell’arte, mais n’a rien d’une citation, car l’usage contre-intuitif des tissus et des formes (Arlequin est souvent représenté en costume près du corps) lui donne une vraie singularité.
Dans la foulée, Alessandro Michele continue de dérouler une partition impeccable, alternant d’un côté les silhouettes verticales, de l’autre les crinolines. La sobriété et l’excès. Il déclenche une tempête de sequins sur un costume de maharaja, calme le jeu avec une anguleuse robe noire, remonte en intensité avec un kimono violine bordé de fourrure et brodé de dorures, envoie une robe moirée rouge sang d’où s’échappe une traîne blanche…
Toutes sortes d’images surgissent face à ses créations, on pense à Catherine de Médicis, au Guépard, de Luchino Visconti, au flamenco, à Scarlett O’Hara, aux Indes galantes, de Rameau, au surréalisme… Ce bouillonnement de références correspond à la manière de penser d’Alessandro Michele, qui admet sa fascination pour les listes et perçoit « chaque robe comme un catalogue ininterrompu et potentiellement indéfini de mots, capable d’évoquer une pluralité de mondes interconnectés ».
Des centaines de mots échappés de l’esprit de Michele (« Egdar Allan Poe », « ton sur ton », « Australia », etc.) défilent en toile de fond sur un écran derrière les mannequins. Le finale est spectaculaire : les 48 modèles arrivent en courant au rythme de la Danse des chevaliers, de Prokofiev, leurs tenues chahutées par un brusque courant d’air. Alessandro Michele ne renouvelle pas seulement le fond du défilé haute couture, mais aussi la forme.
Pans de soie plissée
Chez Jean Paul Gaultier, le changement, c’est chaque saison ! Avant de prendre sa retraite, le couturier a mis en place un système où, tous les six mois, un nouveau designer indépendant est invité à imaginer une collection couture. Après Nicolas Di Felice la saison passée, c’est au tour de Ludovic de Saint Sernin. Ce trentenaire parisien a lancé sa marque en 2017, caractérisée par son esthétique minimaliste et sexy. « C’était un rêve de travailler pour Jean Paul Gaultier, qui a montré qu’il était possible de faire la mode autrement, qui a offert [à des jeunes designers] un espace de liberté, l’énergie de se lancer », s’épanche Saint Sernin, qui dit être allé « loin dans les archives ».
Dans ses allusions à Gaultier, il se concentre surtout sur le corset. Porté seul, associé à une jupe transparente et près du corps, agrémenté d’un voile, emprisonnant des pans de soie plissée, ou encore travaillé comme une veste, il est partout. La sensualité des modèles monte encore d’un cran avec les robes déstructurées, à l’instar de cette longue nuisette en tulle élastique couleur chair, brodée de milliers de minuscules perles noires placées à des endroits stratégiques. Référencée et sensuelle, cette courte collection de 29 looks est une bonne synthèse de Gaultier et de Saint Sernin.
Giorgio Armani, de son côté, a toujours revendiqué la permanence de son style. Pour les vingt ans de Giorgio Armani Privé, sa ligne haute couture, on ne s’attendait pas à ce qu’il déroge de sa ligne directrice. Dans l’hôtel particulier près des Champs-Elysées qui abrite ses nouveaux locaux, les modèles parcourent lentement la succession de salons d’apparat en frôlant les jambes des invités. Il est rare d’être ainsi au plus près des vêtements, et de pouvoir alors mesurer tout le savoir-faire des ateliers, notamment le travail de broderie et de superposition des tissus.
Tout brille dans cette collection intitulée « Lumière », à commencer par les blazers piqués de fil doré, les ensembles champagne, les courtes vestes taillées dans un satin noir ou les longues robes du soir épousant les silhouettes déclinées en vert, rouge ou rose. Une ribambelle de broderies de pierres de couleur accrochent les plastrons de vestes courtes, les robes longues à fines bretelles ou encore les bustiers mixés à des pantalons fluides.
Newsletter
« Le goût du Monde »
Voyage, mode, gastronomie, design : le meilleur de l’art de vivre, dans votre boîte e-mail
S’inscrire
« La haute couture me permet d’explorer des domaines de fantaisie, de liberté et d’expérimentations fascinantes. C’est une occasion d’exprimer ma vision du style et de l’élégance d’une manière que le prêt-à-porter ne permet pas », s’enthousiasme le couturier de 90 ans. « Nous avons observé une augmentation du nombre de clientes plus jeunes – souvent les filles de nos clientes de longue date – et c’est très excitant de créer pour elles », ajoute-t-il. Les clientes de la maison sont nombreuses au premier rang. Car la haute couture, au-delà du rêve et de l’expérimentation, est bel et bien une réalité commerciale.