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Histoires Web dimanche, avril 28
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Une femme seule, dans l’air frisquet d’une modeste maison chauffée au bois… L’aube se lève à peine sur ce coin de Franche-Comté et Sophie Rollet scrute une fois encore l’écran de son ordinateur hors d’âge. Geney (Doubs), le hameau où elle habite, est situé dans une zone blanche, un peu hors du monde numérique. Pour envoyer un SMS, il faut parfois grimper sur la colline. Pour surfer sur Internet, mieux vaut attendre la nuit, le moment où les connexions sont plus fiables. Alors, cette ancienne assistante maternelle veille tard, très tard, en ce début d’année 2016, passant des heures à traquer sur la Toile les indices susceptibles de conforter son intuition, à savoir que des pneus Goodyear défectueux sont la cause de multiples accidents, dont celui qui a coûté la vie à son mari, Jean-Paul, en juillet 2014.

A l’étage, les trois enfants dorment encore. Bientôt, il faudra les réveiller, puis les conduire à l’école. Plus d’un an et demi, déjà, que son époux est décédé, dans un accident sur l’autoroute A36 toute proche. Un autre routier, Pascal Rochard, victime de l’éclatement d’un pneu, un Marathon LHS II fabriqué par Goodyear, a perdu le contrôle de son camion, lequel est venu percuter celui de Jean-Paul Rollet. Tous deux sont morts sur le coup.

Côté judiciaire, l’enquête sur l’accident s’est achevée avant même d’avoir vraiment commencé : le pneu avant gauche a bien éclaté, mais qu’en déduire, sinon que « c’est la faute à pas de chance », comme tout le village le pense ? Sophie Rollet, elle, a la conviction inverse, et cette certitude l’aide à tenir, même si quelque chose s’est éteint en elle avec la disparition de son époux. « C’est Jean-Paul qui m’équilibrait, dit-elle aujourd’hui. J’existais à travers son regard. Affronter les autres, sortir d’ici, tout cela m’est difficile. » Confronter Goodyear à ses erreurs, ou plutôt ses fautes, devient son seul objectif. Elle fait le choix de se battre et non de se murer dans le deuil.

Au Monde, à l’époque, on ne sait rien de son combat lorsqu’elle décide de nous écrire un courriel, comme une bouteille à la mer. Un message émouvant, où pointe le désarroi mais aussi un fol espoir. Elle nous raconte son monde, un peu, du moins ce qu’il en reste, et sa certitude d’avoir mis au jour un scandale sans précédent. Trop d’accidents, en trop peu de temps, avec les mêmes pneumatiques. Cela ne peut être une coïncidence. Ce courriel, daté du 3 février 2016, débute ainsi : « Bonjour, je me permets cette correspondance pour vous poser une question : quel est le point commun des accidents ci-dessous ? » Suit une liste de six carambolages survenus depuis 2011, ceux évoqués dans les deux premiers volets de cette série. Tous ont en commun l’éclatement d’un pneu Goodyear Marathon. « Un regard, une suggestion serait appréciable de la part de personnes telles que vous », finit-elle. Elle a engagé un avocat, Me Philippe Courtois, mais il est loin, à Bordeaux, et puis la justice renâcle. Elle se sent perdue.

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